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Les écoles d'aviation


///  Texte de Jean-Louis Maffre

Louis Blériot et son installation à Pau

Qui est Louis Blériot ?

Cet ingénieur de l’École Centrale des Arts et Manufactures est né à Cambrai le 1er juillet 1872.
Il est à la tête d’une prospère affaire de phares à acétylène, la Société des Phares Blériot, qui lui rapporte environ 60 000 francs par an alors que son poste d’employé de ministère ne lui en procure que 1 800. Depuis longtemps, il ne rêve que de voler et, d’accord avec la formule de Nadar qui affirme que pour lutter contre l’air, il faut être spécifiquement plus lourd que l’air; en locomotion aérienne, comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce qui résiste, il opte pour cette technique plutôt que pour l’aérostation qu’il ne dédaigne pas pour pourtant puisqu’il obtiendra son brevet de pilote de ballon libre. 

 

Dès 1900, il s’attaque donc à la conception et à la fabrication de prototypes, d’abord dans un garage de Levallois avant de travailler en d’autres lieux. Jusqu’en 1908, toutes ses tentatives échouent malgré quelques envols qui le laissent insatisfait. Les échecs sont multiples et l’aventure coûte une fortune, mettant en péril les finances de Blériot. À la fin de 1908, il a en effet dépensé 780 000 francs : la faillite est proche. Il est momentanément sauvé par la vente à l’Angleterre d’un brevet d’éclairage qui lui rapporte 200 000 francs. Quelques réussites lui rapportent des prix qui lui donnent une bouffée d’oxygène qui s’avère insuffisante pour le mettre à l’abri. Pour renflouer ses finances, il participe à des meetings dont les prix sont réinvestis dans des recherches qui apparaissent comme un vrai gouffre. Qu’on en juge : un moteur coûte entre 10 000 et 12 000 francs, une hélice entre 5 et 600 francs, les organes de transmission exigent 600 francs, les amortisseurs 1 000, le fuselage, les longerons, les haubans et les ailes 3 200. À tout cela, il faut ajouter les journées de ses mécaniciens, le transport, les locations…

Sur le marché courant de 1909, le Voisin est vendu 12 000 francs, le Farman 23 000, l’Antoinette 25 000 et le Wright 30 000. 

Blériot envisage donc de tenter la traversée de la Manche pour laquelle le Daily Mail offre 25 000 francs. En vue de cette tentative, il s’inscrit dans une série de prix qui lui servent de répétition et lui rapportent de jolies sommes.

Si Wright, à la surprise générale, ne s’est pas inscrit alors qu’il avait déjà volé 123 kilomètres quand la Manche, dans sa partie la plus étroite, n’en mesure que 35, c’est qu’il ne dispose en France que d’un seul appareil qu’il ne veut pas risquer puisqu’il attend les 250 000 francs du contrat qui le lie à Lazare Weiller concernant la formation de trois pilotes.

 

Le 28 juillet 1909, la traversée de la Manche rapporte à Blériot célébrité et fortune.

Grâce à son retentissement mondial, les élèves affluent dans ses Écoles de pilotage.

Étampes, puis Pau en novembre 1909 et Hendon près de Londres peu après.

Les meetings qui suivent son exploit sont alors pour lui l’occasion de vendre ses aéroplanes.

Les pilotes célèbres formés sur ses appareils sont en quelque sorte les représentants de la marque aux Etats-Unis (Paulhan) et en Argentine (Brégi) où ils sont couverts d’or.

Blériot vient à Pau, pourquoi ?

Comme tous les aviateurs qui volent en 1908, Blériot reçoit fin octobre le dossier monté par le Comité d’Aviation palois issu du Comité des Fêtes désireux de faire de Pau un centre d’aviation.

(Voir à ce sujet sur ce site Les débuts de l’aviation à Pau).

Une vraie campagne semble avoir été déclenchée avec le soutien et l’encouragement du président de la Ligue Nationale Aérienne, René Quinton, qui alerte le maire de Pau pour l’inciter, dans une lettre du 13 janvier 1909, à tout faire en ce moment pour attirer et fixer les aviateurs. Il propose d’envoyer Blériot à Pau car il est avec lui en relation suivie. Dans une missive du 14, il fait état du désir de l’aviateur de quitter la région parisienne et de sa recherche d’un lieu où voler l’hiver. Il faut donc faire diligence pour le persuader de s’installer à Pau et, pour cela, lui offrir les mêmes avantages qu’à Wright.

Ainsi, l’offre devra-t-elle être élargie à un plus grand nombre d’aviateurs et de marques d’aéroplanes de manière à proposer une alternative hivernale paloise aux Écoles d’Issy-les-Moulineaux et d’Étampes.

Par l’entremise de René Quinton et sur l’invitation du Comité d’Aviation, Blériot vient voir les installations du Pont-Long le 10 janvier 1909.

Tout semble lui donner satisfaction et, comme prévu, il réclame les mêmes conditions d’accueil que l’Américain. Plus tard, il explique son choix : Notre École de Pau fonctionne l’hiver alors que l’inclémente saison ne permettrait pas de voler aux environs de Paris. Nous avons choisi Pau à cause de sa situation tout à fait exceptionnelle et parce qu’il y règne une température idéale, l’hiver. (Revue Icare n°89, été 1979).

L'aérodrome n°2

Pour accueillir Blériot, la municipalité loue des terrains sur la lande du Pont-Long à la Commission Syndicale du Haut-Ossau et à la commune de Caubios. Cela se fait en plusieurs temps entre décembre 1908 et octobre 1909. Les baux sont de 6 à 9 ans et les contrats ne sont révisables qu’au seul gré de la Ville. 

Blériot est autorisé à construire autant de hangars qu’il lui semblera utile, à condition de maintenir son activité annuelle du premier novembre au premier mai, période considérée comme « hivernale ».

Les frais de bail et d’entretien des pistes incombent par contre au Comité d’Aviation avec, pour contrepartie, que celui-ci s’occupe et bénéficie de l’admission du public, après entente toutefois avec Blériot ou son préposé. Il s’engage pendant la saison à voler entre 4 et 5 heures si l’état de l’atmosphère le permet et à entretenir les hangars. Dans le cas où il ne respecterait pas ses trois années de contrat, il doit verser la somme de 30 000 francs représentant la moitié du prix d’aménagement de l’aérodrome. 

 

Il est prévu une piste de 4 700 mètres de tour, d’une largeur de 100 mètres devant les 3 hangars et seulement de 25 aux extrémités. Selon la capitaine Bellenger, il s’agit d’un terrain vague, à peu près rectangulaire, long de 1 700 à 1 800 mètres, large de 400 à 500 mètres, couvert d’ajoncs (…) où sont plantés deux pylônes espacés de 1 250 mètres. (Pilote d’essais) Jules Védrines juge la piste mauvaise : 

ce ne sont que des creux, des bosses, de l’herbe et des buissons. (La vie d’un aviateur).

Quant aux hangars annoncés, il s’agit au départ de constructions de toile peu imperméable que la tempête du 25 janvier a balayées. Les véritables abris, dans lesquels il n’était guère possible de se reposer, étaient les grandes caisses en bois recouverts (sic) de papier goudronné ayant servi au transport des avions de Paris à l’aérodrome. (Bellenger, op. cit)

Mais, d’une saison à l’autre, des améliorations sont apportées et l’aérodrome n°2 ne cesse de changer.

La piste est allongée du côté de la route de Bordeaux pour offrir un circuit de 10 kilomètres, sa largeur portée à 100 mètres sur toute sa longueur et à 200 devant les hangars construits en bois de couleur acajou. Un restaurant et une tribune destinée au public sont construits. La saison suivante voit un ensemble encore amélioré avec une piste de 6,500 km, 17 hangars accompagnés d’ateliers de réparation, d’une menuiserie, de magasins et de bureaux.

L’aérodrome dispose en outre d’un dépôt d’essence, d’un garage, d’un gymnase, d’un quillier et d’un terrain de football s’ajoutant à un hôtel restaurant qui ne cesse de faire de la publicité dans la presse locale.

En 1912, Blériot dispose de deux pistes, l’une de 6,700 km, l’autre de 2,500.

Pour s’y rendre, le public bénéficie d’un fléchage du parcours mis en place par la municipalité.

L'école d'aviation Blériot

Le personnel

Installée sur l’Aérodrome n°2, elle a une double activité. En son sein, elle abrite d’une part l’École elle-même dont l’objectif est de préparer les élèves au brevet de pilote de l’Aéro-Club de France, civils et militaires mêlés dans un premier temps, et d’autre part un centre d’essais des nouveaux modèles d’appareils Blériot dotés de modifications de toutes sortes. 

Au départ, en novembre 1909, son personnel se compose d’un directeur en la personne d’Alfred Leblanc, d’un sous-directeur, M. Mollien, d’un directeur commercial en la personne du Palois Henri Sallenave et d’un moniteur, Donnaud, remplacé par Ferdinand Collin pour la saison suivante. Ce personnel évolue par la suite pour employer, en plus des postes énumérés ci-dessus, un directeur du pilotage, un moniteur supplémentaire (Lemartin), un comptable, un magasinier, deux gardiens (un de jour et un de nuit) et 38 mécaniciens.

Lors de la saison 1911-1912, l’École emploie cinquante-neuf personnes dont dix-sept sapeurs du Génie.

Le matériel

L’appareil vedette de Blériot est celui qui a traversé la Manche, le Blériot XI, un monoplan mû par un moteur de 3 cylindres Anzani de 25 chevaux pesant 60 kilos et permettant d’atteindre la vitesse de 55 km/h. Son arbre est relié directement à une hélice intégrale de 2,08 mètres pesant 4,5 kg et tournant à 1 600/1 700 tours par minute. L’appareil, de 7,80 mètres d’envergure, fait de traverses de bois et de longerons d’acier entretoisés par des câbles d’acier, mesure 7 m de long, est muni d’ailes larges de 2 mètres recouvertes de tissu caoutchouté. Elles offrent une surface portante de 14 m2, c’est-à-dire inférieure à celle des autres aéroplanes en service. Sa stabilité transversale, en "roulis", est assurée au moyen du gauchissement de l’extrémité des ailes par flexion. L’aile est haubanée par le haut et par le bas à l’aide de tendeurs d’acier de résistance étudiée empiriquement. Ses organes stabilisateurs, situés à l’arrière, se composent d’un empennage horizontal de 2,2 m et de deux volets mobiles. La direction est assurée par un volant d’automobile inclinable dans les quatre directions qui agit sur une cloche regroupant les câbles de commande du gauchissement et des gouvernes arrières. Ainsi, pour monter, on tire sur le volant qui est repoussé pour assurer la descente. Le fait de le mouvoir sur la droite ou sur la gauche permet de redresser l’appareil quand celui-ci s’incline transversalement. Dans ce cas, on agit donc sur le volant dans le sens opposé à celui de la position prise par l’appareil et qu’il s’agit de compenser. S’il s’incline sur la gauche, on l’amène sur la droite et inversement. À l’arrière, le gouvernail de direction est doté d’une commande manœuvrée au pied, dispositif qui se généralise. Enfin, le Blériot XI repose sur deux roues avant dotées de pneumatiques montées sur des triangles déformables et, à l’arrière, sur une béquille ou un patin vite remplacés par une roulette porteuse. L’ensemble, pilote et réserve d’essence pour deux heures pèse 300 kilos.

Lors de son ouverture, l’École est dotée de seulement deux appareils pour d’abord quatre civils et deux militaires, puis quatorze élèves. 

On s’entraîne sur des appareils ordinaires, mais il y a tellement de casse à cause d’envols intempestifs suivis d’atterrissages catastrophiques, qu’Henri Sallenave a l’idée, en 1911, de faire rogner les ailes des appareils destinés au roulage, interdisant ainsi leur décollage. Ces Blériot XI sont appelés "pingouins".

De nombreux incidents se produisent, casses, ruptures … De nombreuses pannes expliquent les échecs lors des épreuves du brevet. Avec un bon moteur, on atterrit quand on en a assez ; avec un vieux, quand le moteur en a assez écrit le capitaine Bellenger. L’absence de carter prive le pilote de protection contre les projections d’huile de ricin et le transforme rapidement en mannequin dégoulinant…

Le manque de puissance du moteur Anzani oblige donc à voler avant 10 heures et après 4 heures pour éviter les remous et les turbulences pouvant provoquer des accidents compte tenu du manque de maîtrise des apprentis pilotes qui, le plus souvent, volent à une altitude d’une dizaine de mètres et ne pourraient rattraper une telle glissade. C’est pourquoi, sur injonction de Blériot, ces débutants ont interdiction de voler lorsque le vent dépasse 3 à 4 mètres par seconde, cette vitesse étant évaluée en observant les volutes de fumées ou les mouvements d’un papier à cigarette. Enfin, on ne vole pas quand il pleut. 

Petit à petit, au fil des jours et des saisons hivernales, d’autres appareils plus performants arrivent pas voie ferrée et sont conduits de la gare à l’aérodrome par la société de transports Couget.

En 1911, l’École dispose de 24 appareils d’apprentissage, de 13 Blériot XI à moteur Anzani de type école,
de 4 Blériot XI à moteur Gnome de 50 chevaux, de 2 Blériot XX moteur Gnome biplaces et d’1 Blériot XII biplace. À ces aéroplanes, il faut ajouter 15 appareils militaires depuis que l’on prépare le brevet militaire.

En 1911, un Blériot XI monoplace doté d’un moteur Gnome de 7 cylindres coûte 24 000 francs, le biplace
28 000. Ils sont garantis … un mois.

Les assurances

Tout comme il existe des assurances automobiles, il est organisé un système d’assurance pour les accidents d’aéronefs. Le prix des appareils étant élevé et les risques d’accidents nombreux, les primes sont conséquentes. Les accidents corporels causés aux tiers sont garantis jusqu’à concurrence de 20 000 francs par accident, la prime annuelle est de 500 francs. (Revue aérienneN°8, 10 février 1909).

Le pilote d’un appareil accidenté qui veut couvrir ses accidents corporels doit verser une prime équivalent à 8% du capital assuré. Le mécanicien, quant à lui, pour bénéficier d’une indemnité pouvant monter à 25 000 francs, doit verser 40% de son salaire. Les garanties s’étendent aux accidents de toute nature causés aux autres personnes, aux animaux et aux objets matériels, survenus dans toutes les circonstances (…) à l’occasion d’expériences, essais, ascensions, exhibitions, courses, concours, école de pilotage ou voyage en aéroplanes, ainsi que dans le cas où l’explosion du moteur déterminerait un accident et dans le cas où l’incendie de l’appareil causerait un accident corporel humain. (Contrat de La Union et le Phénix espagnol). 

 

Il faut cependant distinguer la réalité relative des impressions du public qui ne peut que constater l’augmentation du nombre d’accidents. Si vous faisiez le total des kilomètres parcourus en une année par les pilotes, vous constatez que le pourcentage des victimes du "plus lourd que l’air" est certainement l’un des plus infimes. (Brindejonc des Moulinais, L’Aéronautique).

Une étude réalisée par le commandant Renard concernant les accidents mortels survenus en 1911 fait apparaître que, contrairement à ce que pense le public, la majorité des accidents n’est pas due aux perturbations atmosphériques ou aux erreurs de pilotage. 25% d’entre eux s’expliquent par le manque d’aptitude naturelle des pilotes, 13% par leur manque d’éducation suffisante, 6 % par leur excès de virtuosité, 6% par leur imprudence et leur imprévoyance, 13% par une faute dans la conception de l’appareil ou de ses divers détails, 20% par le défaut de solidité des appareils, 10 à 12% sont dus à l’atmosphère et à ses remous. (Le Patriote des Pyrénées, 5 juin 1912).

Brindejonc des Moulinais est plus sévère et affirme que parmi ceux qui se tuent, il faut remarquer que huit sur dix sont des ignorants et les deux autres des professionnels, obligés de voler un jour fixé, à l’heure dite, en un endroit convenu. Liés par un traité, ils sont obligés d’évoluer de toutes façons. (Op. cit).

En définitive, cela fait apparaître 50% de responsabilité pour les pilotes : l’on est loin des impressions populaires et médiatiques.