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La Ligue Girondine


///  Texte de Jean-Louis Maffre

Tissié

Le Docteur Philippe Tissié

Fondateur de la Ligue Girondine

Né le 18 octobre 1852 à La Bastide-sur-l'Hers

et mort le 4 juin 1935 à Pau.

est un médecin français, hygiéniste, aliéniste

et l'un des premiers neuropsychiatres en France.

La Ligue Girondine

En 1888, le docteur Philippe Tissié fonde la Ligue girondine de l’Éducation Physique dont le bulletin officiel, la Revue des jeux scolaires, paraît dès 1890. Elle devient la Revue des Jeux scolaires et d’hygiène sociale en 1906 avec pour sous-titre : "POUR LA PATRIE : Par le Foyer, Par l’École, Par la Caserne". Son premier président, James Addison, est secondé par MM. Maurice Lanneluc-Sanson, Maurice Martin, Paul Rousseau et Fernand Panajou. La Revue en présente le contenu dans son numéro de janvier 1895 : "articles de techniques de jeux ; d’hygiène de l’entraînement ; des travaux originaux sur l’éducation physique ; des nouvelles et des récits ; une bibliographie des ouvrages spéciaux etc".

Ses ambitions explicites sont rappelées en 1901 : elle "travaille à faire des jeunes gens pleins d’adresse, d’agilité et d’endurance, ayant des jarrets solides, les poumons et le cœur fonctionnant d’une façon normale, mais point de fiers-à-bras ni de double-muscles. Elle se garde d’empiéter sur le rôle de l’armée ; son ambition se borne à lui préparer de bonnes recrues. À la force et à la beauté physiques, elle a souci d’ajouter la force et la beauté morales. La plus grande correction dans les rapports, le langage, les manières est exigée des enfants et des jeunes gens. La note de bonne tenue prime toutes les autres dans les concours".

(M. Clariget, Revue des jeux scolaires, janvier 1901).

Ses statuts précisent qu’elle "a pour objet […] de développer la santé, la beauté, la force et l’adresse de l’enfance et de la jeunesse scolaire et post-scolaire, des deux sexes, par une éducation physique rationnelle". Relevons la grande nouveauté que représente l’accès officiel des filles au sport… Sa philosophie est claire : les 'Jeux en commun sont une excellente école d’éducation, d’obéissance, de virilité, d’endurance à la douleur par les quelques accidents qu’ils peuvent provoquer, de tolérance et de respect mutuel'. 

Parmi ces jeux en commun, la barette est privilégiée. 'La barette est le jeu par excellence de l’armée parce que la discipline qu’il réclame sur la pelouse est facilitée par l’éducation de la discipline dans la caserne [La discipline n’est-elle pas la force principale des armées ?] (…) Les jeux collectifs et surtout celui de la barette qui est le foot-ball atténué dans ce qu’il a de violent'.

(L’Indépendant du 12 mai 1903).

Les règles du football-rugby ont été modifiées et ce sport porte un nouveau nom: 'Les mêlées ont été rendues moins fréquentes pour laisser place aux courses, qui répondent mieux au développement physique des adolescents que les mêlées où l’effort de la poussée est plus dur'.

(Règles de la barette codifiées par la Ligue girondine en 1899.)

Sont interdits : 'la poussée sur l’adversaire bras tendus, les crocs-en-jambe, les coups de pied, l’arrêt par les vêtements, la gorge ou les jambes […] le port de souliers en cuir épais et ceux dits de football'. 

On ne peut stopper un adversaire qu’en le saisissant "entre les épaules et la taille". (Ibid)

Tout joueur brutal ou grossier est expulsé. Ce jeu doit donc être éducatif et non brutalement sportif car il s’agit de "s’amuser et non de se bousculer". 

L’utilisation des jeux, ballon, marche en montagne, cyclisme, natation … est elle aussi novatrice.

La Ligue aura une influence profonde dans les domaines de la gymnastique, l’athlétisme, la barette et le rugby. Le Bulletin des 1er septembre et 1er octobre 1894 rapporte un discours du docteur Tissié qui conclut "qu’il faut s’élever contre l’abus des sports, qui devient une mauvaise école de suggestibilité tendant à provoquer une régression du moi conscient vers le moi inconscient, de la volition intellectuelle vers l’aboulie automatique. Cette tendance à la régression peut atteindre la société après l’individu.

Autant les exercices modérés sont bons, autant les exercices intensifs sont mauvais".

Les objectifs du Docteur Tissié et de la Ligue Girondine

Les activités proposées sont soigneusement étudiées en fonction de ces objectifs. Elles sont le fruit de réflexions de médecins, de spécialistes qui les envisagent de manière rationnelle et mettent tout en œuvre en vue d’atteindre cet idéal. Le docteur Gilbert Lasserre, dans la Revue de janvier 1902, explique ce que la Ligue entend par "éducation physique" : "donner au corps dans ses différentes parties, muscles, squelette, voies respiratoires, système nerveux, les éléments nécessaires à la bonne exécution des divers exercices constituant dans la vie les actes obligés et facultatifs qui, avec le plaisir, entretiennent l’organisme en bon état d’équilibre ou contribuent encore à la fortifier".  

En 1908, les principes de la gymnastique "naturelle" suédoise de Ling, qui développe harmonieusement le corps, sont exposés en vingt-huit points dans un article signé Louis Daussat intitulé "L’œuvre de Ling – Comment on fait une Race forte". Dans cette même veine, notons que le docteur Tissié publie cette année-là dans la Revue une série d’articles "Pour la Race", puis, l’année suivante, "Pour la Race par l’Armée" 

et "Pour la Race, par la Raison". Notons qu’on peut relever dans les Annuaires administratifs, judiciaires et industriels du département des Basses-Pyrénées que des sergents instructeurs interviennent à l’école Bosquet dès 1880 et au lycée depuis 1880 jusqu’en 1889.

Certains sont chargés des cours de gymnastique, d’autres de l’instruction militaire. 

Avec un regard d’aujourd’hui, on pourrait craindre que le sport, tel qu’il est ici présenté, ne soit pour les jeunes et les adolescents qu’une sorte de bagne. Pourtant, le docteur Tissié revendique des objectifs et des méthodes qui sont la marque d’une lutte contre l’esprit napoléonien de l’éducation. Des jeux procurant du plaisir, telles sont les activités proposées. Avant tout éducatives, elles ne doivent causer aucune fatigue excessive, ne serait-ce qu’en raison de leur aspect militaire puisqu’il faut arriver frais face à l’ennemi. Il n’est pas question, au terme d’une vingtaine de kilomètres à travers champs, comme cela se pratique lors des lendits militaro-sportifs, d’être incapable de tenir son arme sans trembler d’épuisement. 

Il n’est d’ailleurs pas le seul à parler de liberté et de plaisir puisque, le 1er avril 1892, le Bulletin Officiel du Véloce-Club Béarnais rapporte un article de La Petite Gironde qui va dans ce sens : "(…) sachant par expérience que la force et l’agilité musculaires ne nuisent en rien à la liberté et à la dignité de l’homme, mais qu’elles y contribuent". Le même Bulletin du 1er janvier 1900 rapporte les propos du principal du collège d’Avranches témoignant que "(…) les élèves se montrent très heureux de la parcelle de liberté qui leur est laissée : ils n’en abusent jamais".

 

La Ligue organise un "lendit béarnais military-civil" le 10 avril et les 22 et 23 mai 1904 à Jurançon, sur le Champ Bourda qui servit un temps au polo, le premier terrain de sports de la ville mis à la disposition des Coquelicots par le Comité départemental de la Ligue en février 1901. Pau Gazette du 18 avril informe que les installations ont été montées par les sapeurs du 18e RI et que "les jurys sont constitués par MM. les officiers du 18e". Lors de la première journée, il s’agit de véritables rencontres d’athlétisme : courses de 100 et 400 m plat, de 110 m haies, de demi-fond avec un 1 200 et un 1 500 m, des sauts en longueur, en hauteur avec élan et à la perche en longueur. En mai, la suite des compétitions est plus conforme à un programme de lendits scolaires : un 80 m, des matchs de barette, des exercices d’assouplissement. Des assauts à l’épée, au fleuret et une course d’obstacles ont lieu au Château-Louvie (collège Ernest-Gabard actuel).

Dans le cadre de la formation des futures élites de la nation, le 26 mai suivant est donnée une conférence
à l’École Normale d’institutrices sur le thème "Le foyer- L’école – La caserne". Le dimanche 21 octobre 1906 est inaugurée officiellement "la Pelouse des Jeux de la Piste d’entraînement militaire de la Ligue Girondine de l’Éducation physique de Pau", un "ensemble éducatif physique, scolaire, post-scolaire et militaire". (Revue des jeux scolaires de juillet-août 1906).

Le dimanche 23 mai 1909, des rencontres scolaires et militaires on lieu sous l’appellation de "Concours scolaire et militaire de gymnastique et de jeux de plain air". Les rencontres mixtes, qui commencent par un défilé général, présentent des épreuves de gymnastique éducative suédoise, des luttes à la corde de traction, des courses de 100  et de 400 m. Le tir et l’escrime sont réservés aux militaires.

À l’initiative de la Ligue, des associations sont créées dans les établissements secondaires. Au lycée de Pau, ce sont les Coquelicots à la tenue blanche et rouge. Des rencontres ont lieu avec des équipes d’autres établissements : les Montagnards de Bayonne, la Pyrénéenne de Tarbes, les Boutons d’Or de Mont-de-Marsan, les Muguets de Bordeaux, les Œillets de Libourne ou les Genêts de Blaye.

(D. Décamps, La vie sportive à Pau de 1900 à 1920, thèse de 3e cycle, Pau 1979).

Des rencontres ont lieu au lycée, sur la Haute-Plante, sur le terrain des Anglais et au Champ Bourda.
Ces associations scolaires sont gérées par des élèves responsables. Il s’y pratique les mêmes activités sportives que celles de l’Avenir Palois de 1880. Les sports d’équipe y sont privilégiés en raison de la nécessaire solidarité qui doit lier leurs membres : "un pour tous et tous pour un". 

La première décision importante de la Ligue est la création des lendits régionaux de l’enseignement secondaire les 11 et 12 mai 1890 à Bordeaux. Ils ont lieu à la Pentecôte jusqu’à leur suppression par le ministre de l’Instruction publique en 1904. Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, ils ont été remplacés par des Concours nationaux interscolaires. Passé les deux premières années où ils sont organisés à Bordeaux, ils ont lieu chaque année dans une ville d’Aquitaine différente. Pau les accueille deux fois, en 1892 et 1901, tout comme le font plus tard Bayonne et Mont-de-Marsan. L’objectif de ces rencontres scolaires est explicité par le docteur Tissié dans la Revue de mai-juin 1901 : "Faire bénéficier la jeunesse scolaire des avantages d’une éducation physique bien comprise et bien appliquée : tous nos moyens sont tendus vers ce but". 

Les épreuves imposées sont au nombre de neuf : boxe, bâton, escrime, tir, saut, course, barette, corde de traction et mouvements d’assouplissement. En 1907, leur rétablissement est demandé "en vue de la formation des futurs chefs de l’armée : les treize lendits organisés dans l’Enseignement secondaire (…) de 1890 à 1903 ayant doté l’armée d’officiers éduqués aux choses physiques et qui depuis sont devenus des collaborateurs précieux de l’œuvre girondine dans l’armée elle-même". (Ibid. octobre-novembre 1907).

Mais, en 1914, ils n’ont toujours pas repris… En 1900, alors que les lendits de l’enseignement secondaire sont entrés dans les habitudes, des jeux scolaires primaires sont organisés à Pau le jeudi 20 décembre par le Comité départemental des Basses-Pyrénées de la Ligue. Une centaine d’enfants venus de trois écoles sur les six existant à cette époque y participent. Ce sont les élèves des écoles du Vieux-Palais, du Nord et du Centre. "Les enfants du peuple ont ainsi bénéficié de l’éducation physique que la Ligue applique depuis douze ans aux fils de la bourgeoisie" note L’Indépendant du 18 janvier 1901, faisant ainsi allusion aux élèves des collèges et des lycées.

Sont disputés une course de 100 m individuelle, une série de 200 m en section, des sauts en hauteur et en longueur, des tirs à la corde et des jeux de ballon. Lors de la réunion du Comité, son délégué, le docteur Tissié, insiste sur "le but patriotique de l’Éducation Physique (…) et la valeur des jeux scolaires pour le développement non seulement physique mais moral de l’enfant et de l’adolescent" (ibid).

Il rappelle l’article 2 des statuts de la Ligue dont l’objectif est de "répandre par l’enseignement, par l’écrit et par la parole des notions pratiques d’hygiène de l’entraînement physique ; d’intervenir dans toutes les questions qui peuvent intéresser le développement physique de la jeunesse scolaire et post-scolaire jusqu’à son incorporation militaire". Ceci explique sa collaboration avec les Écoles Normales de garçons à Lescar et de filles à Pau où il donne des cours de 1904 à 1913. Les institutrices, notamment, sont formées à l’enseignement de la gymnastique et se voient décerner le Certificat d’aptitude pédagogique à son enseignement. (D. Décamps, ibid).

En juillet 1901, sur la Haute-Plante, ont lieu les premiers Lendits des écoles primaires qui, contrairement à ceux de l’enseignement secondaire, se poursuivent jusqu’à la guerre. Les épreuves imposées sont quasiment les mêmes que pour les lycées et les collèges : boxe, bâton, escrime, tir à la carabine et à l’arme de guerre, saut en hauteur, longueur ou perche tiré au sort, partie de barette de seulement soixante minutes au lieu de quatre-vingts, corde de traction de dix concurrents et mouvements d’assouplissement. 

S’il n’est pas fait mystère de la collaboration avec l’armée qui concourt à préparer la "revanche" (on pense à Gambetta et à ses mots "Pensez-y toujours, n’en parlez jamais") elle semble s’accentuer au fil des années. Philippe Tissié fait adopter la barette puis le rugby et la méthode suédoise au 18e Régiment d’infanterie de Pau. Dès 1903, la Ligue donne des cours d’instruction militaire aux futures recrues qu’elle prépare au Brevet d’Aptitude Militaire qui permet de devenir caporal après 9 mois de service, de choisir en priorité le lieu d’incorporation et le corps d’affectation". (Ibid)

La société agréée par le ministère de la Guerre et qui en reçoit des subventions comme de l’Intérieur, organise des marches, du tir, des séances de gymnastique et des cours de topographie. Formant trente élèves en 1903, elle en accueille quatre-vingt-douze en 1907 et peut se targuer d’un fort pourcentage de succès. 

Nous le constatons, l’aspect militaire et patriotique est omniprésent : salut au drapeau, tir aux trois positions à la bosquette et au fusil de guerre, présence des autorités militaires… Il faut cependant reconnaître que la Ligue a le mérite d’avoir tenté de secouer les habitudes du corps enseignant, d’être parvenue à faire accepter les exercices physiques à l’école malgré les réticences de maîtres dont certains trouvent subversive l’introduction des notions de liberté et de responsabilité là où l’on ne jurait que par la discipline.

Ses membres, très attachés à une éducation physique humaniste et scientifique pour tous, sont hostiles au sport élitiste de compétition à l’école. Malgré de nombreux soutiens, l’œuvre de la Ligue se heurte aux réticences de la municipalité d’Henry Faisans qui, prétextant les dangers des sports d’équipe, lui refuse une subvention ridicule de 500 francs : "La ville ne peut pas prendre la responsabilité de donner un encouragement moral et un appui financier à une entreprise dont les conséquences peuvent avoir de graves inconvénients". (Délibération du Conseil municipal, 1901.)

Heureusement, elle obtient le soutien de l’Académie de médecine qui, dès le 8 mars 1887, avait proposé l’introduction du sport dans les établissements scolaires pour éviter "le surmenage intellectuel et la sédentarité des écoles". Elle proposait d’installer collèges et lycées à la campagne pour les internes ; des espaces aérés et bien exposés pour les récréations ; des salles de classe aérées et éclairées ; l’accroissement du temps de sommeil ; la diminution du temps des études ; l’augmentation proportionnelle du temps de récréation et des exercices ; des exercices quotidiens d’entraînement physique proportionnés d’une durée de trente à quarante-cinq minutes. La Ligue peut compter aussi sur le concours du ministre de l’Instruction publique, des recteurs, du président départemental de La Ligue Girondine, Alfred de Lassence qui plus tard sera maire, et du président du Comité des fêtes de Pau. 

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