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Le Tir aux Pigeons


/// Texte de Jean-Louis Maffre

D’après D. Décamps (op. cit.), cette activité aurait démarré à l’initiative des "armuriers qui virent là un moyen d’accroître leurs ventes en attirant chez eux une nouvelle clientèle ne regardant pas à la dépense, les étrangers". L’activité se montra lucrative au point que les armuriers, qui n’étaient que deux en 1839 et 1841 (MM. Lissonde et Briol), se retrouvèrent cinq en 1905 avec l’inamovible M. Lissonde. MM. Briol, Aubin, Loustalot et Lauga avaient disparu à la veille de 1900. MM. Hourat, Poullenot, Zeiss et Jamet venant alors s’ajouter. Le premier et le plus important, celui-là seul dont la presse cite le nom, est M. Lissonde, 27 rue Préfecture.

Du 7 juin 1846 jusqu’en 1863, date à laquelle il est transféré à Gelos dans une prairie face au château de Lezons, le champ de tir est situé à l’hippodrome. Puis, en 1872, on tire au chemin du Loup sur la propriété Saintongez appelée au début "Champ Saintongez" avant de devenir plus tard le "Stand Saintongez". 
Si l’on en croit le Journal des Étrangers du 26 février 1876, le propriétaire, M. Lissonde, "poursuit tout doucement sa modeste carrière, se contentant d’offrir deux fois par semaine des distractions tranquilles à ses fidèles clients". Il semble pourtant que cette activité soit plus agitée et sujette à polémique que ce qu’en dit le journaliste cette année-là. En effet, certains pratiquants se plaignent de l’apathie des pigeons offerts à leurs distractions : " pigeons rhumatisants, étiques ou malades (…) pigeons qui, faute d’une nourriture suffisante, ne peuvent s’envoler et que l’on est obligé de stimuler à coups de cailloux (…) le pigeon sans force se met à courir par terre, n’ayant même pas la force de s’envoler. D’autres refusent de sortir de la boîte et on les prend au filet comme de vulgaires papillons", se plaint un lecteur à Pau Gazette le 2 avril 1882.

Des incidents ont lieu qui sont rapportés dans des articles inquiets ou ironiques. Il faut savoir que les pigeons qui n’ont pas été tués par les compétiteurs et franchissent les limites du stand intéressent bon nombre de Palois. Ceux-ci, armés, se postent donc aux limites du champ… Pau Gazette du 18 février 1883 explique que "tous les jours de tir, le champ Saintongez est littéralement entouré d’une foule de chasseurs (nous en avons compté jusqu’à cinquante et plus) qui attendent à la sortie les pigeons manqués par les shooters. Lorsque grisé par l’odeur de la poudre, un pigeon déjà blessé et rasant le sol se présente au bout de leur fusil, ils le tirent sans calculer où peut porter leur coup".  Le 26 février suivant, le journal rapporte encore que "quelques-uns de ces sports-men-amateurs (sic) qui pullulent aux environs, les jours de tir, n’étant pas d’accord sur la propriété d’un pigeon, se menaçaient mutuellement de leur coup de fusil. Bientôt après, une nouvelle rixe au sujet d’un chien trop bien dressé qui, mettant en pratique la maxime : Qu’il faut prendre son bien où on le trouve, rapportant à son maître les oiseaux abattus par les personnes en question voulussent bien se dispenser à l’avenir d’envoyer leur plomb sur la tribune et les spectateurs".  

 

Leurs tirs représentent un danger tant pour les participants que pour le public du stand. En outre, cela fait courir des risques aux personnes qui empruntent les deux voies très fréquentées jouxtant la propriété. Sans compter que les détonations excitent les attelages des voitures hippomobiles qui prennent parfois le mors aux dents. Il faut donc y remédier. Dans un premier temps, des PV sont dressés pour "délit de chasse en temps prohibé". Mais la justice décide qu’il n’y a pas lieu de condamner, même en appel. La cassation est donc envisagée. Les participants, par l’intermédiaire de Pau Gazette, réclament le droit de "pouvoir [se] rendre en toute sûreté à une réunion sportive, et avec la certitude d’en revenir sans avoir récolté quelques grains de plomb destinés à un pigeon".  (29 avril 1883).

Le journaliste fait jouer la menace qui peut enfin sortir la municipalité de se torpeur : "N’oubliez pas que le tir aux pigeons est, avec les courses et les chasses, le sport le plus répandu". (Ibid). C’est sans doute pour ces raisons que le tir aux pigeons de M. Lissonde est transféré à la plaine de Billère, en bordure de la voie ferrée, où il est inauguré le 23 janvier 1884. Là, au moins, tireurs et spectateurs seront à l’abri des plombs des "braconniers". Mais le Pau Golf-Club ayant plus tard racheté le terrain, un nouveau déménagement est entrepris en février 1892 vers la Ferme Victoria, 7 avenue Dufau. Cependant, cette solution ne dure que jusqu’en décembre et un nouveau stand s’ouvre au chemin Philippon.

En raison de l’engouement pour cette activité, on tire en même temps ou successivement en d’autres lieux. D’abord chez M. Canteloup en 1892 et 1893 au Champ Saintongez chemin du Loup. Le Journal des Étrangers du 4 décembre 1892 se réjouit de la réouverture de ce stand le 8 de ce mois. D’après lui, la nouvelle installation "ne laisse rien à désirer. On y trouvera tout le confort possible, abri pour mauvais temps, la salle chauffée, etc, etc. (…) Les lundi, mardi et vendredi sont spécialement réservés pour les poules et les concours". Puis il déménagera à Billère le 1er janvier 1900. On tire également chez M. Hourat, armurier arquebusier 10 rue Castetnau puis place des 7 Cantons. En 1893, il s’installe dans un premier temps route de Tarbes sur la prairie Trouilh, puis Champ Saintongez au chemin du Loup avant d’ouvrir un nouveau stand route de Bordeaux. Là, on peut tirer sur des cibles ou pratiquer le ball-trap, tirer sur des animaux vivants : alouettes, coqs, faisans et lièvres. L’Indépendant du 14 janvier 1894 informe que le stand dispose d’une "machine Bal-trap (sic), nouveau modèle, destinée aux jeunes tireurs. Elle fonctionne tous les jours au gré des amateurs". Ce dispositif doit à terme supplanter le tir sur des pigeons vivants au prix trop élevé pour, à la place, proposer des cibles inertes. Pourtant, nous l’avons vu ci-dessus, il offre encore de tuer des animaux, des "alouettes de provenance spéciale pour le tir". (ibid, 23 février 1894).

"En 1901, en raison du manque d’aide de la municipalité, ce type de tir disparaît des activités sportives de la cité car le Conseil municipal le considère comme un amusement supplémentaire pour les hivernants, mais [qui] en aucun cas ne pouvait prétendre attirer une nouvelle clientèle".

 (D. Décamps, op. cit).

Il semble cependant qu’il fasse là une mauvaise analyse si l’on en croit Pau Gazette du 30 octobre 1904. Après avoir constaté qu’à Pau le tir aux pigeons "n’existe qu’à l’état rudimentaire et primitif", l’auteur de l’article fait apparaître le retard de la ville par rapport à ses concurrentes hivernales et balnéaires, les villes de Contrexéville, Royat, La Bourboule, Royan, Boulogne, Vichy, Biarritz, Luchon et Cauterets notamment.
Il insiste en outre sur le fait que "le tir aux pigeons est de nos jours un des sports à la mode et des plus sélect" (sic). Devant la demande des Anglais et des Américains pour cette activité, il constate qu’ "il y a une clientèle à attirer qui est fort appréciable". Il explique aussi la vogue extraordinaire de ce sport par le fait qu’il est l’objet de paris "avec plus d’ardeur encore qu’aux courses de chevaux". Il conclut que "la Ville a le plus direct intérêt à encourager le tir aux pigeons et à participer dans la mesure de ses ressources à la réalisation d’un programme présentable". Sans doute le message a-t-il été entendu puisque, dans une lettre du 23 octobre 1904 adressée au maire, le baron de Lossy s’engage à verser plus de 30 000 francs de prix aux tireurs en échange d’une subvention de 5 000 francs pour créer un stand de tir et organiser des concours.

(Archives communautaires, 3R1/7).

 

Le 16 novembre, le Conseil municipal "approuve la création par M. de Lossy d’un tir aux pigeons à l’Hippodrome de Pau, dans le genre de ceux qui existent à Ostende et à Cabourg". Nous l’avons déjà relevé
à propos d’autres sports, cette politique de la Ville s’explique par la conscience de la nécessité d’améliorer ainsi les loisirs des hivernants pour les retenir à Pau et par l’intérêt commercial que représente la fréquentation de nouveaux touristes fortunés.

Des terrains sont alors alloués à la Société d’Encouragement "à la pelouse près des baraques du pari mutuel", annonce Pau Gazette du 11 décembre. Après l’aménagement des installations, le stand est ouvert tous les matins, de mi-décembre à mi-février, sauf les dimanches et les jours de courses afin de ne pas effrayer les chevaux. Le concours est ouvert le 14 décembre suivant. La ville de Pau, le Palais d’Hiver et le commerce palois offrent 40 000 francs de prix. Du 14 décembre au 30 janvier, presque chaque après-midi ont lieu vingt-cinq compétitions, dont la plupart des vainqueurs sont récompensés par des prix en argent allant de 500 à 5 000 francs pour le Grand Prix du Palais d’Hiver. Le Prix de Garlin du vendredi 16 décembre et le Prix du Trotting-Club du samedi 28 janvier sont simplement dotés d’un objet d’art. Ces manifestations sont presque immédiatement suivies des Grands Concours internationaux qui ont lieu du 1er au 27 février et offrent quatorze prix allant de 500 à 5 000 francs pour le Grand Prix de Pau. Des villes du département comme Le Boucau, Lescar, Biarritz, Oloron, Orthez, Laruns et Eaux-Bonnes dotent certaines de ces compétitions. Bagnères-de-Bigorre et Lourdes font de même. Le Palais d’Hiver participe aussi en offrant un Prix du Palmarium. Le montant des engagements perçu par l’organisateur dépend de la dotation du concours : 10 francs pour 500 de prix, 20 pour 1 000, 30 pour 2 000 et 40 pour 5 000. Les pigeons sont payés 2 francs (ibid). Puis on n’entend plus parler de ces installations, le baron de Lossy ayant cessé son activité.