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Les Patronages religieux


///  Texte de Jean-Louis Maffre

Sur le plan national.

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Un peu d'histoire

Sous la Troisième République, on assiste à un long processus de laïcisation et de sécularisation qui, après la loi du 1er juillet 1901 limitant la liberté des congrégations pour lutter contre leur influence anti-républicaine sur la jeunesse, débouche sur la loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905 conduite par Aristide Briand.

C’est dans ce contexte qui voit s’opposer, souvent violemment, laïcité et catholicisme, anti-cléricalisme radical et religion souvent envahissante, que le sport n’est pas épargné par ces antagonismes qui se nourrissent de peu. 

Les Patronages à Pau.

Ainsi, par exemple, au début, les patronages religieux pratiquent-ils la barette et le rugby.
Puis ils lui préfèrent le football, vilipendant dorénavant le ballon ovale qu’ils accusent de tous les maux pour des raisons politico-religieuses. Le Patriote du 9 mars 1909 écrit à ce sujet : "Il est à souhaiter que ce jeu moins brutal que le rugby, partant beaucoup moins dangereux, entre un peu dans les mœurs paloises et que les patronages l’adoptent, répondant ainsi au désir le la Fédération des Patronages de France". 

Le 7 avril 1912, poursuivant sa campagne comme si, semble-t-il, cela n’avait pas convaincu, il en rajoute et parle de "ce jeu, bien plus gracieux que le rugby, et qui réclame plus d’adresse, plus de sang-froid et de vitesse, et surtout qui les expose à beaucoup moins de dangers". Et ce n’est toujours pas terminé puisqu’il insiste le 27 février 1914 : "Le premier jeu est gracieux, scientifique, il érige un sentiment très juste de la distance, une intelligence parfaite de son rôle. Le second est facilement heurté, cafouillé, brutal et dégénère aisément en pugilats où l’on recherche en vain une idée directrice".

 

Nous l’avons vu, dans l’article du 9 mars 1909, il est souhaité par la Fédération des Patronages de France que le foot-ball soit adopté, la barette et le rugby abandonnés sous des prétextes esthétiques et de prudence protectrice de la jeunesse. On peut aussi voir dans cette volonté le désir de se démarquer de la pratique laïque, voire de la "vulgarité" d’un peuple sans foi à qui l’on oppose sa propre "distinction".
Dans cette lutte, chaque organe de presse prend fait et cause pour son parti et ne ménage ni les critiques
ni les accusations de toutes sortes envers ses concurrents. Le Mémorial, par exemple, affiche son idéologie : "DIEU – PATRIE – FAMILLE. Journal quotidien. Organe des intérêts conservateurs et religieux du Sud-Ouest".

Il ne manque pas une occasion de glorifier les activités des patronages catholiques et de critiquer les sports pratiqués dans les clubs laïques. Par opposition, L’Indépendant, républicain, s’abstient de mentionner l’existence et les activités des patronages.

À la fin du XIXe et au début du XXe siècles, des associations religieuses vont naître de la lutte contre l’anticléricalisme. Avec la loi de 1905, les choses ne vont pas s’améliorer, la laïcité étant l’ennemi juré qu’il faut combattre. D’un côté comme de l’autre, la mauvaise foi n’est pas interdite… 

Bourbaki

Quels sont les objectifs des patronages catholiques ? Il s’agit, en attirant le jeudi et le dimanche les enfants des milieux populaires, de les soustraire à l’influence "néfaste" de l’éducation laïque.

Le premier d’entre eux semble être le patronage Saint-Joseph (curieusement nommé Saint-Jacques) de l’abbé Lafourcade, et dater de 1888. Ne disposant pas de terrain, il est accueilli dans les locaux de l’école de l’Enfant-Jésus, rue Castetnau, puis au Cercle Catholique, rue de Ségure.

En 1903, il devient l’Association Bourbaki, du nom du général qui "pacifia" vigoureusement les Kroumirs maghrébins en 1881. Il choisit pour couleurs de maillot le bleu et le rouge.

Ayant acquis un terrain au 8 rue Bourbaki, l’abbé Hourcade y construit une baraque.

Le patronage, destiné aux enfants du peuple qu’il veut accompagner jusqu’au service militaire, est tout d’abord une garderie plus ou moins improvisée qui lutte contre l’anticléricalisme. Les activités peu enthousiasmantes sont souvent perturbées par des conflits entre les participants. Elles ont pour but de leur inculquer des principes religieux, de leur offrir des goûters et de leur proposer des jeux.

(D. Décamps, La vie sportive à Pau de 1900 à 1920, thèse de 3e cycle, Pau 1979).

 

Le football et les sports athlétiques sont introduits aux alentours de 1900 afin de remédier à une lassitude naissante. Des compétitions trimestrielles sont alors organisées, mais le sport n’est pas la raison de l’existence de ces associations. De multiples autres activités s’y déroulent : théâtre, musique, cercles d’études, chorale, boules, lecture, billard… "Il est entendu que chez nous les exercices physiques ne sont que des moyens pour attirer et retenir les jeunes gens et, par là, exercer sur eux sans qu’ils s’en rendent compte une influence morale salutaire" avoue Le Clairon du 1er janvier 1911. Il précise encore les objectifs de ces patronages dans son numéro du 1er avril 1912 : "La première préoccupation est de former des chrétiens et, secondairement, des gymnastes et des footballers (sic)". C’est pour cela que "l’assistance à la messe, le Dimanche (…) est de rigueur, sous peine d’exclusion si la mauvaise volonté est prouvée".

(D. Décamps, op.cit.)

 

C’est simplement à partir de 1907 et la création d’une section de gymnastique participant à des compétitions avec des équipes extérieures que celui-ci prend toute son importance. Le sport est considéré comme un moyen de lutter contre les organisations laïques, de sortir les enfants de la rue, de les christianiser et d’en faire des patriotes. Le Champ Coudères, près de la rue Carnot, est loué vers 1908.

Le Patriote du 22 mai fait état de concours inter patronages mettant aux prises Bourbaki, Ségure, Saint-Joseph et Saint-Pierre de Jurançon, Bizanos, Gelos, Bruges, Pomps et Mont-de-Marsan. Ils s’affrontent sur 80 m haies, 400 m plat, 1 500 et 3 000 m, saut en longueur et en hauteur, tir à la carabine.

Le journaliste loue les animateurs bénévoles : "Ces vaillants jeunes gens qui n’hésitent pas, après le fatigant labeur de la journée, à travailler à la formation de défenseurs solides et instruits de l’honneur national". Religion et patriotisme sont intimement liés, comme le proclame tous les jours la une du Mémorial. Le Patriote du 26 mai 1908, à propos de ces rencontres, parle d’une "magnifique jeunesse, vigoureuse et saine, saine de corps et saine d’esprit (…) notre jeunesse chrétienne". Il se sent "réconforté au passage de cette robustesse souple et nerveuse que l’on sent enveloppée, pénétrée, dominée par une force morale intense, la force religieuse". Des messes accompagnent toutes les réunions sportives, agrémentées
il va sans dire de défilés de type militaire, drapeaux en tête car, ne l’oublions pas, le sport prépare au service militaire et au combat. Aux traditionnelles compétitions athlétiques sont le plus souvent associées des épreuves de boxe, de bâton, de mouvements d’ensemble et de tir. 

La société Jeanne d'Arc le Béarn

Ainsi Pau compte-t-elle plusieurs patronages en dehors du plus important, Bourbaki, dont les membres sont surnommés les « Kroumirs ». Son activité sportive essentielle semble être la gymnastique : 400 gymnastes en 1909, 1 000 l’année suivante, 1 200 en 1914. Le patronage Ségure, de la paroisse Saint-Jacques, animé par les Frères des Écoles chrétiennes, au maillot blanc et noir et dont le béret porte une cocarde rouge, dispose d’un terrain de jeux, le Champ Ségure, avenue de Montardon. Vers 1912, il est absorbé par Bourbaki.

Le patronage Saint-Martin est créé en décembre 1902 par l’abbé Lasplaces qui loue une salle place des États. En 1907, l’abbé Pataa lui succède et reste en place jusqu’en 1922. Ce patronage devient en 1909 la « Société Jeanne d’Arc le Béarn », plus connue sous l’appellation JAB. Le nom de la "Pucelle" n’a pas été choisi au hasard. Il est le symbole de la résistance à l’occupant et manifeste le refus de la spoliation d’une partie de nos territoires de l’est (l’Alsace-Moselle), il porte en lui l’idée de lutte et de "revanche". L’inauguration de la Société a lieu le dimanche 1er août avec un défilé, un chœur de cent cinquante personnes, des exercices de gymnastique réunissant mille athlètes, des pièces et des monologues. "Vous serez des jeunes gens chrétiens, des hommes d’honneur et de discipline. Vous serez dignes d’appartenir à la nouvelle association. Jamais nous n’aurons à rougir de vous" s’enthousiasme un journaliste dans Le Patriote du 3 août. Ce rival de Bourbaki s’entraîne d’abord au parc du Château avant d’acheter, à Bizanos, aux alentours de 1909, le Champ Baudon où il aménage une grange.

On y joue au football qui, contrairement au rugby, attire peu de spectateurs ; on organise des randonnées en montagne et l’on pratique aussi la luge et le bobsleigh aux Eaux-Bonnes en 1910. En 1912, le prix des vélocipèdes ayant considérablement baissé, est introduit le cyclisme qui jouit d’une grande notoriété sur le plan local avec le Véloce-Club Béarnais installé au Bois-Louis et qui organise entraînements, et compétitions sur son vélodrome et sorties dans la "campagne".

La JAB et Bourbaki disposent en outre d’un fronton de pelote, un sport introduit en Béarn par les soldats du 18e RI et les internes du lycée venus du Pays basque. On y monte des comédies, des opérettes, prononce des monologues et interprète des chansons. Puis, en 1914, curieusement, peut-être pour attirer un public qui fait défaut lors des rencontres de football association, Bourbaki met sur pied une équipe de rugby qui rencontre celle de l’Avenir Palois qu’elle bat 15 à 0. La conclusion est simple : "Le rugby est un jeu bien facile à assimiler puisque sans aucune préparation, les fervents du ballon rond disposent si aisément des virtuoses de l’ovale" se réjouit Le Patriote du 12 mai 1914. Et le journaliste, qui ne s’attendait certainement pas à une telle issue, n’a pas le triomphe modeste : "Et ceci est tout à l’honneur de l’association, jeu scientifique, précis, où la force n’est pour rien et où seules la finesse, l’agilité et la décision entrent en ligne de conduite. Il serait curieux maintenant de voir une équipe de rugby paloise lancer un défi aux Kroumirs pour un match d’association". (Ibid).

 

Les tenants de la laïcité ne pouvaient rester inactifs devant cette érosion de leur influence républicaine sur la jeunesse. Il leur fallait absolument lutter contre les menées de l’Église catholique, avançant plus ou moins masquée, dans une société où la religion était très importante, voire omniprésente. Des patronages laïques naissent donc, d’abord au sein des écoles primaires laïques en 1902. Le Cercle Amical du Patronage des Écoles publiques offre de la lecture et du tir à la carabine, organise des promenades et des excursions en montagne. Le Cercle devient l’Étoile Sportive Paloise qui ajoute à ces activités la gymnastique et l’escrime. L’Indépendant du 1er décembre 1908 annonce que le patronage laïque de Pau a formé une section sportive rugby et a mené son premier entraînement au Champ Bourda. Le 12, il fait état de l’Assemblée générale du Patronage des Écoles primaires publiques de Pau qui s’est tenue le 6. Le journal présente cette société comme une "œuvre bienfaisante et moralisatrice" qui organise des cantines scolaires et des colonies de vacances. Son but ? "Attirer, retenir ces jeunes gens et les rendre plus vigoureux en vue du service militaire". Elle a pour objectif de développer "l’éducation morale, civique et républicaine (…)

[elle les] prépare ainsi à bien remplir, le jour venu, leur devoir de citoyen". 

L’amour de la patrie et de la République sont ici essentiels, étrangers à toute pensée et référence religieuses. 

 

Mais l’importance des patronages laïques, jusqu’à la guerre, est bien moindre que celle de leurs concurrents religieux.

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