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De la Bicyclette au Vélo


/// Texte de Jean-Louis Maffre.

et à partir de 1933 Le cyclo club béarnais,

texte de Yves Coup.

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La tendance actuelle étant de nommer "sport" toute activité physique de loisir, il nous paraît nécessaire de préciser avant tout ce que l’on entend par ce terme. Il vient du vieux français "desport" qui, d’après Alain Rey, (L’Équipe magazine), signifie "Tourner ailleurs ses préoccupations, se consacrer à quelque chose d’accessoire, qui n’est ni vital ni essentiel". Il s’agit donc d’un jeu, d’un amusement, d’un loisir. Selon une définition plus moderne, il est question de "tout genre d’activité physique ayant pour but la réalisation d’une performance et dont l’exécution repose essentiellement sur l’idée de lutte contre un élément défini : une distance, une durée, un obstacle, une difficulté matérielle, un animal, un adversaire". (Georges Herbert, Le sport contre l’éducation physique, 1946). 

 J. M. Brohm en précise le sens actuel dans son ouvrage Sociologie politique du sport : "Le sport est un système institutionnalisé de pratiques compétitives, à dominante physique, délimitées, codifiées, réglées conventionnellement dont l’objectif avoué est, sur la base d’une comparaison de performances, d’exploits, de démonstrations, de prestations physiques, de désigner le meilleur concurrent (le champion) ou d’enregistrer la meilleure performance".  Cela implique donc entraînement, compétition et mesure des performances. 

 

Qu’il marche ou courre, se déplace à dos d’animal, à l’aide de matériel motorisé ou non, l’homme, immanquablement, fera un sport de ces moyens de locomotion. Il en mesurera le temps et/ou la distance, en évaluera pour certains – ski, patinage… - la valeur artistique à l’aide de critères qu’il rationalisera peu à peu afin d’en ôter tant que faire se peut tout caractère subjectif. 

La bicyclette, vélocipède ou bicycle

On note qu’au XIXe siècle, à Pau plus précisément, dès qu’il est nécessaire pour telle ou telle pratique de disposer de matériel, monture ou engin – de la paire de skis à l’avion en passant par le cheval, la bicyclette ou l’automobile – apparaît une ségrégation financière, donc sociale. La pratique de la plupart des sports qui firent la réputation de la ville nécessite en effet d’abord un apprentissage depuis le plus jeune âge, du temps seulement largement accordé à une "élite" oisive bénéficiant de larges revenus, d’importants  moyens financiers puisqu’il faut acheter et entretenir chevaux ou véhicules, rémunérer le personnel qui en est chargé, disposer enfin de locaux et d’équipements coûteux.  Il en est notamment ainsi pour la bicyclette, alors appelée vélocipède ou bicycle, dont, au tout début, le prix élevé exclut toute pratique populaire, en réservant localement l’usage à la société étrangère en villégiature, britannique notamment.

Seule la lente baisse du prix de ces véhicules en permettra peu à peu la démocratisation qui s’accentua avec le succès du premier Tour de France en 1903. Simple moyen de locomotion, la bicyclette va devenir un sport pour la bourgeoisie paloise dès la création, le 7 octobre 1881, sur l’initiative de MM. Sarradon et Couget, d’un Cercle de vélocipédistes. Son siège est situé au café Gil, 1 rue Bayard.  Puis ce Cercle deviendra le Véloce-Club Béarnais. À leurs côtés, dès la première heure, figurent MM. Brugnot, Burgay, Castéra, Poey, Probst, Suberbie et Viviez. La première séance officielle se tient le 14 octobre pour l’élection du bureau dont le président sera M. Probst, le trésorier M. Sarradon et le secrétaire M. Couget. Par la suite, le capitaine Annesley est nommé président et M. Burgay secrétaire. Un oubli ou une négligence des dirigeants du club fera longtemps croire que le VCB a été fondé en mars 1883. Ceci s’explique par le fait que les archives, se fondant sur les seuls documents officiels, ont retenu l’année de la déclaration en préfecture de la fondation de l’association. Il s’avère que ce club auquel appartiennent quelques Anglais, est d’abord palois et bourgeois. Si la cotisation de 12 francs pour les hommes et de 8 pour les dames est relativement peu élevée, mais représentant cependant le salaire de plusieurs journées d’un ouvrier, le prix du vélo à lui seul exclut le petit peuple. Par ailleurs, comme nous l’avons noté pour le golf, l’admission ne se fait que par le système du double parrainage avec vote secret et possibilité de rejet de la candidature.

Peut-être par imitation des pratiques d’une société de laquelle ils se sentent exclus ?

Du 1er août 1885 date le premier numéro mensuel du Bulletin officiel du Véloce-Club Béarnais. En raison de la Grande Guerre, il est décidé par le Comité de cesser sa parution à partir de celui du mois d’août 1914 et de ne plus faire paraître qu’un numéro par an, le 1er janvier. Donc, de 1915 à 1923, soit du numéro 349 au 357, ne parait que le Bulletin de janvier. Il nous informe à la fois de la naissance du club, de son passé, de ses activités et de son programme. Son contenu évolue en partie selon les circonstances : les problèmes rencontrés par le club, ses projets et ses réalisations de pistes ou de bâtiments, ses déménagements, ses emprunts... Il fournit régulièrement le nom des nouveaux admis et la liste de ses membres inscrits au 31 décembre de l’année précédente. Dans chaque revue, il informe en outre ses abonnés des convocations pour les assemblées, annonce les dates et les programmes des "Promenades officielles", les diverses compétitions, donne les comptes rendus des diverses réunions, des sorties et des courses.

Les règles et la circulation

Lorsque, dans le courant du XIXe siècle, apparaissent ces nouveaux moyens de locomotion circulant dans les rues que sont vélocipèdes, automobiles et tramways, naissent d’inattendus problèmes de circulation.
Il devient donc nécessaire, afin d’établir une supportable et paisible cohabitation entre ces nouveaux venus sur les rues et les routes, les véhicules hippomobiles et les piétons, de fixer des règles qui le permettent.
On pense aux trottinettes très contestées dans nos agglomérations actuelles… Cela se fera au niveau départemental par le truchement des préfets et, au niveau national, par le vote de lois publiées au Journal Officiel. La revue se fait donc l’écho des problèmes que l’on rencontre à bicyclette en ville et sur les routes que fréquentent ses membres. Elle émet des vœux et des suggestions pour en rendre l’usage sûr et agréable, ne manquant pas, à l’occasion, de se plaindre auprès des autorités de l’état de certaines chaussées. Elle rend aussi compte des lois et des règlements qui concourent à une plus grande sécurité et donne son avis à leur propos. Par exemple, un arrêté du maire daté du 3 septembre 1896 interdit la circulation des vélocipèdes place Royale, boulevard du Midi, sur la Haute-Plante, les allées et les trottoirs longeant la place des Écoles, les boulevards des Pyrénées, d’Alsace-Lorraine et Barbalat, les avenues de la Gare et du Bois-Louis, les routes de Bayonne, de Bordeaux et de Tarbes, l’avenue Porteneuve, le chemin conduisant aux allées de Morlaàs et les allées du Jardin Public. En outre, il interdit formellement de circuler sur les allées de Morlaàs les dimanches et jours fériés de midi à 7 heures. Le 19 juin 1894, un nouvel arrêté indique que les cyclistes "doivent user aux tournants d’un grelot ou d’une clochette suffisamment sonore pour avertir de leur présence à une distance de 50 mètres au moins". La circulation est interdite sur les allées de Morlaàs de 6 heures à 1 heure et demie.

 

En 1896, le Bulletin fait état d’un rappel du préfet de la Seine à propos de l’appareil sonore, de l’éclairage et de l’allure de déplacement. Il ajoute qu’il est interdit de rouler en groupe, de couper cortèges, convois et troupes en marche. Il précise ce qui doit être entendu par "allure modérée" : on doit pouvoir s’arrêter dans les 4 à 5 mètres, ce qui signifie qu’on ne doit pas rouler à plus de 10 km/h en ligne droite, à 8 aux carrefours et dans les tournants. Toute course sur la voie publique est interdite. Il est obligatoire de tenir sa droite en croisant tout véhicule et sa gauche pour dépasser. "Les conducteurs de voitures et les cavaliers devront se ranger à leur droite à l’approche d’un vélocipède, de manière à lui laisser libre un espace utilisable d’au moins 1,50 m de largeur". Le 10 décembre 1898, le Journal Officiel indique qu’à compter du 1er mai 1899

il sera obligatoire de fixer sur le tube de direction une plaque de contrôle métallique d’un modèle déposé sur laquelle sont apposés un poinçon et le millésime de l’année en cours. Elle sera délivrée gratuitement

"par le percepteur au vu du récépissé de la déclaration prescrite par l’article 12 de la loi du 28 avril 1893".  Cette même loi fixe le paiement d’une taxe annuelle de 10 francs, même dans le cas où le véhicule aurait été acheté en cours d’année. En l’absence de déclaration, cette taxe sera doublée. Une baisse est accordée à compter du 1er janvier 1899, la fixant à 6 francs pour un véhicule à une place, 12 pour un véhicule à deux places, 12 ou 24 selon le nombre de places pour les  "vélocipèdes munis d’une machine motrice". Elle  sera perçue à compter du 1er janvier 1899. Dernier arrêté et loi dont nous faisons état, le 28 octobre 1901, le Bulletin informe ses lecteurs de l’obligation qui est faite de fixer sur son bicycle une corne d’appel, une lanterne ou un falot et une plaque indiquant le nom et le domicile de son propriétaire.
Les cyclistes sont tenus de circuler à droite, il leur est interdit de rouler de front et d’emprunter les trottoirs, même la bicyclette à la main. Ils devront se déplacer à "une allure modérée" et corner avant d’aborder un tournant. Les allées et promenades sont réservées aux piétons. Tout non respect de ces injonctions sera sanctionné par un procès-verbal et des poursuites devant un tribunal.

 

Avant que le Bulletin offre cette mine de renseignements sur le club, ses membres et ses activités, la "presse mondaine" comme la nomment les Annuaires des Basses-Pyrénées, parle parfois du Véloce-Club, mais bien moins qu’elle ne le fait pour des sports à ses yeux infiniment plus importants que sont le cheval, le golf et la chasse au renard. Ainsi, Le Journal des Étrangers du 31 octobre 1883 nous parle-t-il du nouveau vélodrome du Véloce-Club Béarnais à proximité des "pelouses pour les jeux des étrangers". Le 14 novembre suivant, il fait état des réunions mensuelles du club. Nous apprenons aussi que des courses de tricycles et bicycles sont organisées sur l’allée sud de la Haute-Plante. Fin mars 1884, il nous informe qu’a lieu un championnat de "bicycles et tricycles" au même endroit (ibid., 2 avril). Puis, le dimanche 6 avril est organisée une course de fond de 48 km, Pau-Soumoulou aller retour deux fois, à laquelle participent notamment sept Anglaises montant des tricycles. Le 12 novembre suivant, ce même journal fait part de l’élection d’un nouveau président, le baron Séguier, et d’un effectif de 129 sociétaires. Celui-ci apparaît très variable d’après les listes publiées régulièrement dans la revue : 42 en 1883, puis une hausse régulière jusqu’en1892 avec 397 noms, jusqu’à 437 en 1894 avant une certaine érosion par la suite. Le dernier chiffre que nous possédons indique 668 membres en 1922.

Les parcours à vélo

Cependant, ce sport n’ayant pas le prestige des sports mondains, la majorité de ses membres sont des autochtones et plutôt spectateurs. Les rares Anglais "n’appartiennent pas à l’élite de la colonie étrangère ; ce sont des gens aisés, mais qui exercent une profession à Pau". 

(D. Décamps, La vie sportive à Pa de 1900 à 1920, Thèse de 3e cycle, Pau 1979.)

Les Palois sont rentiers, médecins, artisans et peu sportifs, comme les présidents successifs, le baron Séguier, MM. d’Iriart d’Etchepare, Poyarré et Burgay. "La bourgeoisie paloise aurait choisi le sport comme prétexte à la formation d’un club où elle se sente chez elle" (ibid). Cependant, le fait que les membres se réunissent dans le salon du chalet (dont nous parlerons plus loin) pour y jouer à des jeux de société et y lire des revues ayant trait au cyclisme n’est pas la marque d’une fréquentation particulièrement populaire. 

Grâce à la parution du Bulletin, nous pouvons mesurer la variété et la richesse des activités habituelles du club. Des "Promenades officielles" sont organisées mensuellement, annoncées et bénéficiant d’un compte-rendu dans le numéro suivant. G.C. écrit dans le Bulletin n°3 d’octobre 1885 : "N’est-ce point un vrai bonheur que d’être réunis camarades et amis, vélocipédant côte à côte, dévorant l’espace, se racontant les incidents gais de la semaine, respirant à pleins poumons l’air vivifiant de notre beau pays" ? 

Ces sorties donnent aux membres du VCB l’occasion de parcourir le Béarn et, par des itinéraires différents lorsqu’on se rend au même endroit, de traverser des dizaines de villages, allant même jusqu’à Bedous et Bagnères-de-Bigorre, Tarbes et Saint-Palais… Il ne s’agit pas à proprement parler de "sport" puisqu’il n’y a nulle compétition ; aujourd’hui, on parlerait plutôt de sorties à "bicyclette" et pas à "vélo"...

C’est une forme de tourisme sous la direction d’un "capitaine de route", l’allure maximum étant de 14 km/h. Les participants s’engagent à suivre les règles de conduite établies. "Tout membre prenant part au tourisme s’engage à obéir de bonne grâce aux instructions du capitaine de route ; il ne peut dépasser sans autorisation spéciale le capitaine de route ou le lieutenant si ce dernier mène le train" dit le Bulletin n° 118 de mai 1895. Pour les localités voisines – Arzacq, Monein, Betharram, Soumoulou, Lembeye et Lagor – elles réunissent dix à vingt personnes. Pour de plus longs parcours vers des lieux plus lointains – Cauterets, Gabas, Saint-Palais, Bagnères… - on prend le train et loge à l’hôtel. Pour Cauterets par exemple, on se rend de Pau à Lourdes en train, puis à bicyclette de Lourdes à Pierrefitte et, de là, on emprunte le tramway pour atteindre Cauterets. La Promenade Officielle des 15 et 16 juin 1901 pour Saint-Jean-Pied-de-Port voit le groupe prendre le train pour Saint-Palais, parcourir les 15 km le séparant du village de Larcebeau, puis les 15,5 km vers Saint-Jean-Pied-de-Port à bicyclette. Après la visite de la localité, les 35 km pour se rendre à Cambo sont parcourus en passant par Bidarray et Itxassou. Le lendemain, le groupe ira de Cambo à Bayonne par Ustaritz. Ces sorties, qui sont l’occasion de faire de bons repas, reviennent donc assez cher et interdisent une participation réellement populaire.

 

Avec le début de la démocratisation de la bicyclette, considérée alors comme simple moyen de locomotion, disparaît le goût de la nouveauté qui explique en partie l’engouement des premiers temps. H. Petit, dans le numéro 489 de La Vie au Grand Air du 1er février 1908, explique cette évolution en ces termes : "À l’époque où une machine coûtait huit cents francs, les snobs seuls s’en servaient. (…) Plus tard, on s’aperçut que la bicyclette était un merveilleux instrument de promenade et de tourisme. (...) Puis, petit à petit, les prix baissèrent, les premières machines démocratiques virent le jour, encore accueillies avec une certaine défiance par les travailleurs à qui elles étaient destinées. (…) Quelques années plus tard (…) la bicyclette était devenue un instrument de première nécessité, et, par conséquent, se voyait abandonnée de la classe riche, qui entrevoyait déjà l’automobile". Le nombre de membres du VCB diminue donc, passant  à 138 en 1901. Devant cette nouvelle popularité du bicycle, des bourgeois, fuyant une promiscuité qu’ils jugent inconvenante, quittent le club. Mais le vélocipède coûtant toujours trop cher, on ne peut encore parler d’une pratique populaire qui se développera plus tardivement. 

Dans le semblable objectif de réaliser des sorties touristiques, des Excursions et Voyages au départ de Pau sont régulièrement organisés, notamment pour Bagnères, Bayonne, Gavarnie, Perpignan, Orthez, Peyrehorade, Eaux-Bonnes, Sauveterre, Saint-Christau et la vallée d’Aspe.