Henri Russell
(1834-1909), de père Irlandais et de mère Gersoise, fixé à Pau dont il est devenu la célébrité en raison de ses talents d’ascensionniste, d’écrivain et de son originalité.
Le pyrénéisme palois des origines à 1920
"Pyrénéisme" est le mot apparu en 1898 sous la plume d’Henri Béraldi sur le modèle "d’alpinisme". Dans Cent ans aux Pyrénées, il en fait remonter l’histoire à la fin du dix-huitième siècle avec Ramond de Carbonnières, amoureux de la montagne, mais aussi botaniste, géologue et cartographe… Béraldi résume le pyrénéisme du dix-neuvième siècle par la formule "ascensionner, sentir, écrire", alors que dans l’alpinisme, l’aspect sportif est prépondérant. C’est en effet au cours du dix-neuvième siècle que sont conquis les hauts sommets pyrénéens, défi sportif, mais également scientifique ; il s’agit d’herboriser, faire des relevés topographiques, cartographiques, écrire des guides. Beaucoup font également œuvre littéraire à travers le récit de leurs impressions, leurs souvenirs. Dès les années 1880, se profile cependant un pyrénéisme "de difficulté" avec Henri Brulle qui cherche l’exploit sportif, sans guide, avec corde et piolet et explore des voies restées invaincues.
À la fin du dix-neuvième siècle, après le temps de la découverte et derrière l’élite des montagnards, viennent les groupes d’ "excursionnistes" qui se contentent d’être de bons marcheurs, amoureux des montagnes et de l’effort.
Il existe donc différentes façons d’appréhender la montagne.
Mais quelle est la place des Palois dans ces différentes formes de pyrénéisme ?
Un grand pyrénéiste, le comte Henri Russell
On ne compte pas de Palois de souche parmi les plus grands pyrénéistes. Ces derniers sont en général des Pyrénéens d’adoption, venus de diverses régions de France ou même de l’étranger, en particulier des
Anglo-Saxons. Pau s’enorgueillit cependant de la présence du roi incontesté de la montagne du XIXe siècle, le comte Henri Russell (1834-1909), de père Irlandais et de mère Gersoise, fixé à Pau dont il est devenu la célébrité en raison de ses talents d’ascensionniste, d’écrivain et de son originalité.
Montagnard atypique, Russell escalade les pics en solitaire ou accompagné d’un guide, pour son seul plaisir, en quête de sensations et avec le sentiment d’échapper ainsi au commun des mortels. Il ne recherche pas la difficulté, mais la surmonte lorsqu’elle se présente. Il a de la montagne une conception à la fois aristocratique et romantique que permet une confortable fortune. Pour éviter les marches d’approche interminables et inintéressantes et mieux profiter des sommets, il prend l’habitude de bivouaquer dans un sac en peau d’agneau. Pour rester au plus près de "son" Vignemale dont il effectue 33 ascensions entre 1861 et 1904, il fait creuser au fil des ans 7 grottes près du sommet et y reçoit ses connaissances.
Il va jusqu’à obtenir en 1888 la concession pour 99 ans de 200 hectares au sommet du Vignemale.
Sa célébrité vient aussi de ses écrits, Grandes ascensions des Pyrénées (1866) ou Souvenirs d’un montagnard (1878) qui, décrivant le parcours des ascensions, furent longtemps les seuls guides pour les premiers pyrénéistes et ont été à l’origine de bien des vocations.
Cependant, vers 1900, malgré le véritable culte organisé autour de Russell, ses conceptions sont dépassées. Le pyrénéisme qu’il pratique, celui de la découverte et de la solitude appartient à une époque révolue. Russell, à la fin de sa vie, accepte mal de voir ses montagnes envahies.
Le temps des excursionnistes
En effet, à la fin du XIXe, un nouveau type de pyrénéisme se développe, à l’opposé de la conception élitiste de Russell, l’excursionnisme, c’est-à-dire les sorties en groupe, encadrées par des sociétés. Toute une organisation se met en place et dans cette phase, les Palois se montrent actifs, désireux de faire découvrir la montagne au plus grand nombre, à une époque où elle attire mais effraie et où l’on hésite à s’aventurer seul dans un milieu encore mal connu.
Deux société paloises se constituent, la SEB (Société des Excursionnistes du Béarn) et la section paloise du CAF (Club Alpin Français). La SEB a des origines parisiennes ; des jeunes gens de grandes écoles avaient créé à Paris une société de promeneurs. Parmi eux, des Palois, qui fondent à Pau une filiale pour continuer leurs promenades pendant les vacances (1880). En 1882 ils se lancent dans des sorties en montagne. Le CAF est apparu en 1874 et ses filiales se multiplient, dans les Alpes puis les Pyrénées.
La section paloise du CAF naît en 1887.
Ces deux sociétés présentent des différences qui leur permettent d’être complémentaires. Le CAF de Pau peut s’appuyer sur un réseau national et même international ; il est composé de notables. La SEB est une société locale, à l’horizon limité et regroupe surtout des jeunes que le CAF épaule en cas de besoin. Elle est aussi la pépinière qui fournit les nouveaux membres au CAF. On observe une répartition des tâches entre les deux sociétés, même si chacune a pour principale activité d’organiser des excursions ; le CAF organise parfois des sorties géologiques ou botaniques ; plus riche, mieux épaulé, il se charge de l’aménagement de la montagne pour faciliter les randonnées ; il trace des sentiers, cherche à faire construire des refuges, car en 1900 il n’en existe encore que deux dans la région, Tuquerouye (1890) et Bayssellance (1899).
Il s’occupe également du recrutement et de la formation des guides.
Pourtant, CAF et SEB présentent bien des points communs, en particulier dans le recrutement social de leurs adhérents. On n’y trouve pas de membres de la colonie étrangère, si bien représentée dans différents sports, mais rebutés par les conditions spartiates des sorties ou déplorant comme Russell la vulgarisation de la montagne. Car ces deux clubs recrutent dans la petite et moyenne bourgeoisie paloise, plutôt les professions libérales pour le CAF et les fonctionnaires, en particulier enseignants pour la SEB.
Les classes populaires ne sont pas représentées : pour les sorties il faut du temps libre, de l’argent ; pour être admis il faut être présenté par deux membres et obtenir un vote favorable des sociétaires.
Les sorties s’adaptent à ce public composé de personnes qui exercent une activité et ne peuvent guère sortir que le dimanche. Elles sont annoncées dans le Bulletin Pyrénéen, publication commune des deux sociétés. Ce qui les caractérise, c’est la longueur de l’approche en l’absence de refuges et de moyens de transport commodes. Le départ se fait à 5 ou 6 heures du matin en train pour Laruns ou Cauterets. Ensuite tout se fait à pied et il faut se presser pour ne pas rater le train du retour. Ce sont des marches interminables qui ne permettent pas d’atteindre la haute montagne. Dans ce cas le régime est encore plus rude. Ainsi pour l’ascension du pic du Midi de Bigorre faut-il partir le samedi soir, arriver en train à Bagnères à 21 heures, Campan à bicyclette à 21 h50 Début de la montée à 22h15. Pause de minuit à 3h du matin pour dormir dans une grange. Sommet atteint à 11h10. Retour à Campan à 17h10 et l’on se précipite à Bagnères pour le train de 17h40.
Au cours des années 1900-1920, on note une évolution qui reflète une volonté d’organisation plus méthodique. En 1903 est créée à Pau une Fédération des Sociétés Pyrénéistes qui regroupe sections du CAF et sociétés d’excursionnistes de toute la chaîne.
Le Bulletin Pyrénéen devient l’organe officiel de cette fédération.
On observe aussi plus de souplesse et de variété dans les excursions. Les transports deviennent plus commodes avec les voitures et des aménagements d’horaires de train. On construit des refuges comme Arrémoulit en 1906 (CAF et SEB). Le Touring Club construit le refuge Russell et le refuge Wallon en 1910 et la SEB l’abri du cirque des Mondeils. Les excursionnistes ont donc plus de liberté, sont un peu moins pressés par le temps ; on peut multiplier les groupes et donc s’inscrire aux sorties selon ses goûts et ses aptitudes.
Autre changement, l’apparition du ski à partir de 1903.
Dans ce domaine, les Palois, comme Henri Sallenave ou Louis Falisse jouent un rôle d’initiateurs.
Le ski permet désormais d’aborder la montagne en toute saison. (Voir la rubrique sports d’hiver).
Ce sont aussi davantage de Palois qui fréquentent la montagne. Des dames, de plus en plus, les patronages comme Bourbaki qui crée un groupe d’excursionnistes. Les sociétés d’instruction militaire commencent aussi à envoyer des groupes en montagne.
Après la guerre, qui perturbe les sorties, les Palois reprennent plus nombreux le chemin de la montagne. L’accès en sera facilité par la multiplication des refuges et les progrès des moyens de transport.