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Pau Reine des sports.

Présentation

C’est souvent ainsi qu’est désignée la ville à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Longtemps, cette phrase fut inscrite à l’intérieur du café L’Aragon, au-dessus d’une vaste fresque représentant les principaux sports en vogue dans la cité. Les guides touristiques, les brochures présentent la capitale du Béarn comme un lieu de villégiature d’hiver antérieur à ceux de la côte méditerranéenne. Si elle est décrite par le Guide Joanne comme accueillant une « clientèle de malades, de convalescents, de gens riches, venant chercher l’hiver le repos et le soleil », elle est
« avant tout la Villégiature d’hiver sportive par excellence. » On précise par ailleurs (Pau Béarn Pyrénées Livret-Guide illustré) que le Pau sportif « a pris un développement si considérable qu’aujourd’hui on vient aussi à Pau uniquement pour les Sports qu’on y pratique, et (…) cette clientèle spéciale est au moins égale, sinon supérieure, à celle des délicats, des surmenés, des neurasthéniques.» Le Guide Joanne précise que « le climat de Pau (…) permet aux amateurs de jeux de plein air de se livrer à leurs plaisirs pendant tout l’hiver (…) les amateurs de golf, vieux et jeunes, viennent galoper gaiement sous le clair soleil (…) et pousser la  balle. »

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Comment expliquer cette réputation et ce succès ? Par l’installation des Britanniques après les guerres de l’Empire puis de ceux qui furent plus tard attirés par le « mythe climatique ». Celui-ci est né d’abord de l’ouvrage publié en 1829 par sir James Clark à partir des études du docteur Playfair – il envoie à Pau nombre de ses malades – et surtout de celui du docteur Alexandre Taylor, De l’influence curative du climat de Pau, publié à Londres fin 1842 et traduit en français par Patrick O’Quin. L’Annuaire administratif, judiciaire et industriel des Basses-Pyrénées de 1849 se fait lui aussi le chantre de « la bénignité du climat des Basses-Pyrénées [qui] prolonge la vie humaine bien au-delà du terme ordinaire. Les tables de mortalité dressées par les soins de l’administration montrent que la proportion des décès y est plus faible que dans tous les autres départements, c’est-à-dire de 1 sur 45.
On y compte aussi un grand nombre de centenaires. »

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Pour beaucoup, Pau est devenue « ville anglaise ». Les Anglais « y ont transplanté leurs mœurs, leurs coutumes et leurs plaisirs ; car ils y sont maîtres sans conteste, par la force des banknotes, des pounds et des shillings », affirme Bertall en 1876 dans son ouvrage intitulé La vie hors de chez soi. « Les Anglais amenèrent avec eux leurs chevaux, leurs chiens, leurs jeux, leurs habitudes en un mot » reprend et précise Pau Béarn Pyrénées (op. cit.)
«  Ils ont (…) fait de Pau une ville sportive qui vient maintenant au premier rang, en tête même des Stations Hivernales les plus en vogue de la Riviera », ajoute-t-il. En 1865, « Pau est la reine des stations d’hiver (…) jouit de privilèges exceptionnels que l’on peut envier, mais que l’on n’égale point (...) il n’y a au monde, en fait de climat sédatif, que Rome et Pau. » (Un indigène, [pseudonyme d’Émile Garet], Lettre aux habitants de la ville de Pau).

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Mais cela n’a été réalisé ni tout seul ni en un jour. Il fallait que la municipalité fît le nécessaire pour transformer un petit bourg endormi en une station hivernale digne d’une clientèle mondaine, riche et raffinée. Pau nous est décrite par Un indigène comme étant en 1820 une cité dépourvue de « commerce de fantaisie et de luxe (…) [qui] n’avait que des boutiques dénuées de tout prestige fascinateur, sombres et surmontées de l’auvent traditionnel. » Ses « spectacles se réduisaient aux ombres chinoises, aux marionnettes, aux acrobaties et aux combats d’ours » (op. cit.) Tout devait donc être entrepris pour attirer les étrangers, les accueillir et les retenir le plus longtemps possible, au-delà d’une saison hivernale allant dans les premiers temps de la mi-novembre à la fin mars. (Elle sera plus tard prolongée d’octobre à mai).

 

Grâce à l’initiative municipale et privée, la cité peu à peu se transforme. D’abord pour être digne de recevoir les hivernants, puis afin de satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Les maisons et leur ameublement, le costume, la voirie les moyens de transport, tout s’améliore spontanément ou à l’imitation des Anglo-Saxons. Des projets voient le jour : construction d’un palais de justice, d’un théâtre, d’un hippodrome, amélioration de l’éclairage urbain par l’adoption du gaz, aménagement des places et des promenades, de lieux de culte… « Le nombre des étrangers qui sont venus passer l’hiver à Pau étaient au 1er janvier de 404 et 240 domestiques, c’est-à-dire de 64 de plus que l’année précédente » (Annuaire 1849).

 

En 1865, « l’étendue de la ville a presque doublé (…) Nous avons aujourd’hui des maisons où l’art le plus raffiné accumule à l’extérieur toutes les élégances de l’architecture moderne et entasse au-dedans de véritables merveilles de luxe et de confort » (ibid.) Le commerce s’est adapté aux nouvelles exigences : bijouterie fine, mode et nouveautés, épicerie, librairie, miroiterie de luxe, fantaisies artistiques… sont offertes derrière de « splendides devantures et leurs glaces de plusieurs mètres de hauteur. » (Ibid.)

Le Guide Joanne de 1868 parle en ces termes de l’influence étrangère : « les loueurs de maisons, d’appartements, de meubles, les voituriers, les fournisseurs, les photographes, les professeurs sont nombreux et leur prospérité dépend de l’affluence et de la richesse des visiteurs qui viennent passer l’hiver à Pau. » Il ajoute que « pendant l’hiver de 1866 à 1867, 815 familles étrangères, composées d’environ 4 000 personnes, séjournaient à Pau. »

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Cette même année 1866, alors que l’impératrice Eugénie crée la Société du Prince Impérial, Prêt de l’Enfance au Travail, il apparaît qu’à Pau cette institution est inutile, au moins pendant la période d’hivernage des étrangers.
Le président du canton et de la Société, M. Labordette, explique ainsi cet état de fait : « Pau est une ville où la présence des étrangers fait affluer beaucoup d’argent dans les ménages et les classes inférieures. Il n‘est pas rare de voir tous les membres d’une même famille au service d’une de ces maisons opulentes qui viennent hiverner parmi nous ; de là un bien-être qu’on ne retrouve pas dans d’autres localités même de plus grande importance que notre ville». Après avoir noté la « position très heureuse » des ouvriers, dont certains « ne travaillent que trois ou quatre jours par semaine », il fait apparaître l’exceptionnelle situation d’une partie de la classe laborieuse :
« Les trois-quarts des maisons en construction, ou nouvellement construites, appartiennent à des ouvrier (...) la presque totalité des maisons de la rue Armand-Laity [rues Castetnau et Nogué] est la propriété des charpentiers, maçons, menuisiers, boulangers et forgerons qui, il y a cinq ou six ans à peine, étaient des ouvriers à la journée. » (Archives communautaire, 2Q1/3, lettre du 1er juillet 1866).

 

Le 12 de ce même mois, à son tour, le maire écrit que cette situation « s’explique par la fructueuse activité que la présence des étrangers imprimait généralement au travail » (ibid.) Il ajoute cependant que « depuis leur départ et selon les justes prévisions, d’assez nombreux besoins se manifestent parmi les classes laborieuses (…) déjà plusieurs demandes d’emprunt attendent l’examen des Comités locaux » (ibid.)

Pour résumer l’influence des Britanniques dans la transformation de la ville, l’auteur de la Lettre aux Palois note que « le costume, le langage, les habitudes, tout a subi une heureuse révolution dans tous les rangs de la population. » Il l’affirme sans ambages, « ce sont incontestablement les effets de leur présence qui en ont permis la réalisation (…) sans les étrangers, qu’aurions-nous fait avec nos mesquines ressources d’autrefois ? »

 

L’hiver est consacré au golf, aux courses de chevaux et à la chasse au renard ; le printemps aux sports

« nouveaux » : le jeu de paume, le lawn-tennis, le croquet, le polo, les courses automobiles et le tir aux pigeons. Pour retarder le départ des riches étrangers privés d’activités sportives dès la fin de l’hiver et condamnés au désœuvrement, il est nécessaire de promouvoir de nouvelles activités mêlant sport et mondanités. La ville fait donc d’importants efforts financiers en offrant des subventions ordinaires et extraordinaires, en fournissant terrains et installations, en comblant le déficit de certaines sociétés, en dotant meetings et tournois, en encourageant les initiatives privées et en incitant hôteliers et restaurateurs à financer des épreuves. Par exemple, le contrat signé en 1902 avec le Palais d’Hiver (le Palais Beaumont actuel) exige de ce dernier la dépense d’un minimum de 20 000 francs (portée à 50 000 en 1905) en faveur des sports palois. Les palaces, comme les hôtels de France et Gassion, doivent doter certaines courses de chevaux ou des tournois. De la publicité est faite par l’intermédiaire de journaux, de prospectus, de dépliants, d’affiches et de guides. Après la guerre, des flammes postales parlent de « Pau centre d’excursions et de tourisme estival » et proposent : « Passez l’hiver à Pau climat idéal tous les sports. » Des souverains comme Edouard VII et Alphonse XIII sont invités.

 

La municipalité aide surtout les sports susceptibles de générer des dépenses chez leurs pratiquants et les spectateurs, favorisant ainsi le commerce local, ces activités ayant un impact économique important pour la cité. La presse paloise elle-même agit en faveur de la venue et de l’accueil de ces visiteurs qu’elle souhaite voir se fixer. Ainsi, le Journal des Étrangers fait-il régulièrement paraître cet article : « Les personnes qui ont l’intention de passer l’hiver à Pau et qui voudraient se procurer d’avance tous les renseignements utiles sont priées de s’adresser directement à M. le Gérant de l’UNION SYNDICALE DE LA VILLE DE PAU, 7 rue des Cordeliers.

L’Union syndicale a été fondée dans le but d’être utile aux nombreux étrangers qui choisissent Pau pour résidence ou qui s’y rendent pendant l’été. Son impartialité et son désintéressement en font un précieux intermédiaire entre les propriétaires et les étrangers, et c’est avec le vif empressement qu’elle offre ses services absolument gratuitement aux voyageurs. » (12 octobre 1881).

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Pau Gazette relève l’intérêt  que représente pour Pau le fait d’offrir certaines activités sportives : « Il y a (…) certainement, chaque hiver, au moins une dizaine de familles qui ne viennent  ou ne reviennent à Pau que pour la chasse et dont chacune dépense ici, pendant la saison, environ 60 000 francs, et quelques-unes une somme de beaucoup supérieure (…) [des] chasses qui sèment, chaque hiver dans la région, la monnaie d’un million et demi à deux millions de francs. » (14 décembre 1902). Ce qui est valable pour les amateurs de chasse au renard l’est aussi, entre autres, pour le tir aux pigeons à propos duquel, lors du Conseil municipal du 11 novembre 1904, il est relevé qu’il « ne serait pas sans profit d’attirer et de retenir à Pau cette clientèle qui est nombreuse et de luxe. » Il est mentionné « l’intérêt qu’il y aurait à favoriser la création d’un Tir aux Pigeons dans notre ville soit pour en attirer une nouvelle, soit enfin pour donner un élément nouveau  à notre commerce local, et principalement à l’industrie des loueurs de voitures qui transporteraient au Pont-Long les fidèles du stand nouveau. » Ceci explique la décision de soutenir prioritairement les sports « mondains », les plus favorisés étant les chasses au renard et le golf.

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En 1895, les sports et les fêtes offertes à la société étrangère représentent 16,3% du budget municipal. Le Patriote des Pyrénées du 27 juin 1912 explique : « Nos dépenses sportives sont justifiées et populaires parce que les sports sont la grande attraction de notre station d’hiver, son attraction triomphante et spéciale. » Si la ville suit les engouements de la société étrangère, c’est « pour satisfaire le goût de nouveauté des sportsmen : ainsi se succèdent les modes du jeu de paume, de l’automobile, du tennis, du tir aux pigeons. » Lors de la saison 1913-1914, alors que les sports mondains bénéficient de 100 000 francs de subventions, il n’en est accordé que 3 000 à tous les autres réunis… Cette politique va conduire la plupart des sociétés et des personnes intéressées par la présence de la colonie étrangère à pratiquer une sorte de chantage auprès des autorités municipales pour obtenir des aides. Toutes font apparaître l’intérêt financier pour la ville des manifestations pour lesquelles elles demandent leur participation. Par exemple, quand l’existence du golf semble menacée, Pau Gazette du 10 avril 1898 avertit : « Supprimez le Golf-Club les jeux si sains de la plaine de Billère : et Pau, détrônée, redeviendra une station quelconque, condamnée à une lente agonie, à la fin dans l’oubli. »

 

Le Journal des Étrangers du 25 mars 1894 avait relevé que «  le cœur de notre prospérité hivernale bat à la Plaine de Billère. » Le Bobsleigh-Club de Pau, lorsqu’il demande une subvention en 1911, fait apparaître que « les Sports d’Hiver prennent chaque année une nouvelle extension dans les Basses-Pyrénées ; nous devons nous en réjouir et les favoriser de notre mieux, car cela amène dans notre ville bon nombre de touristes qui séjournent à Pau pour se rendre aux Eaux-Bonnes, où ils se livrent à leur exercice de prédilection. [C’est] pour notre ville une source de revenus. » (Conseil municipal du 15 décembre).

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D’autres sociétés ou clubs font remarquer l’importance de la publicité faite autour de leurs activités. C’est le cas notamment du tir et du rugby. Quand la Société de Tir demande 30 000 francs pour organiser un concours, elle justifie ainsi son projet : « La Ville trouverait dans cette affluence de visiteurs, dans l’immense réclame faite partout par des affiches envoyées en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Espagne, en Suisse etc… par la profusion d’invitations personnelles adressées à tous les tireurs connus du monde entier, une légitime compensation aux dépenses qu’elle pourrait faire. » (Conseil municipal du 10 mars 1906). Connaissant le désir de la municipalité de combler le vide de ses hôtels et de ses pensions hors saison, elle insiste sur « l’intérêt que représente pour la Ville l’organisation à Pau du Concours National et International de tir (…) à une époque de l’année où nos hôtes d’hiver ont quitté notre station. » Elle fait donc miroiter « une affluence de 10 000 à 12 000 tireurs pendant une vingtaine de jours. » Plus modeste, la Section Paloise fait remarquer que « les moindres détails de ses matchs ont été reproduits par la presse sportive et illustrée et il en est résulté pour notre station une publicité gratuite énorme (…) de tout cela le commerce local retire un profit immédiat. » (Conseil municipal du 27 février 1914).

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C’est qu’attirer et retenir à Pau de riches hivernants représente une manne financière dans tous les domaines, malgré le fait que certains d’entre eux achètent en Grande-Bretagne une partie de ce dont ils ont besoin. L’immobilier, d’une part, est concerné avec la construction de villas, soit par des étrangers, soit par des Palois en vue de leur location. Au nombre de 90 en 1866, 325 sont disponibles en 1893, la plupart hors des limites de l’octroi. Ainsi, « la présence des étrangers a fait parvenir nos revenus d’octroi au chiffre de 335 000 francs » note Un Indigène (op. cit.)Cette manne annuelle permet ainsi à la municipalité de financer les améliorations de l’environnement urbain palois. Le commerce et l’artisanat de luxe d’autre part avec les vêtements, les tissus, l’ameublement, la décoration, l’alimentation et la carrosserie haut de gamme. Un nombreux personnel de maison est par ailleurs embauché. Enfin, tous les métiers en rapport avec les activités liées aux chevaux sont aussi intéressés : dresseurs, entraîneurs, lads, jockeys, loueurs et vendeurs de montures, de calèches et de voitures, bourreliers et selliers, marchands de fourrage et d’avoine. Une centaine de « grooms » sont employés à l’entretien des animaux pour un salaire journalier de 4 à 6 francs, ce qui représente 127 000 francs en sept mois. Pau Gazette du 14 décembre 1902 note qu’« il y a à Pau près de 300 chevaux appartenant à des étrangers qui, souvent suivis de leurs familles, laissent ici plus de 2 millions de francs. » À elle seule, la location des chevaux rapporte par monture 300 francs par mois ou 10 francs par jour, 6 francs à la demi-journée pour la promenade. Pour la chasse, selon qu’on s’engage ou non à prendre en charge les risques d’accident, il en coûte 30 ou 50 francs par sortie.

 

En 1865, aux dires d’Un Indigène, « sept cent onze familles étrangères ont passé l’hiver à Pau et y ont laissé près de six millions » (Ibid.) Mais, d’après lui, l’avantage n’est pas uniquement financier, il est aussi culturel : « Ce que vous devez encore aux étrangers (…) c’est de vous avoir donné le ton, les mœurs, le goût, les usages, les libertés inappréciables de la grande ville » fait-il remarquer aux Palois (ibid.). Ainsi, « l’habitant de Pau, dès lors subjugué par ses hôtes, copie à son tour leurs allures (…) leur liberté du dedans et du dehors (…) le tact et le goût s’introduisent dans les relations sociales, l’art de vivre et le sentiment des choses mondaines se glissèrent parmi nous. » (Ibid).

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Danièle Décamps note que Pau est l’une « des premières villes de France à comprendre la place que le sport pouvait et devait prendre dans la vie contemporaine et s’être résolument lancée dans une politique associant les loisirs et le sport : cette préoccupation est à l’époque chose toute neuve. »

(La vie sportive à Pau de 1900 à 1920. Thèse de 3e Cycle, Pau 1979).

 

Jean-Louis Maffre

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