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Le Tir


/// Texte de Jean-Louis Maffre

Sur le plan national.

Le tir

Preparation

Une historiographie aujourd’hui dépassée prétend que la perte de l’Alsace-Moselle en 1871 laissait présente dans l’esprit de tous les Français l’idée de "Revanche". 

On rapporte le succès des formules "N'en parler jamais. Y penser toujours". "La ligne bleue des Vosges".

Cette idée traduit la réalité seulement entre 1871 et les années 1890.

 

À cette époque, l’école primaire enseigne que la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine est inacceptable. Elle prépare à la caserne, inculque les idées de Patrie, de sacrifice (mourir pour la Patrie), d’honneur, de discipline, de dévouement, de devoir (défendre le territoire), et martèle que le service militaire est un devoir sacré. 

En 1882 sont instaurés des bataillons scolaires servant à la préparation militaire et qui organisent des défilés d’enfants munis de fusils de bois. 

 

Mais des études récentes montrent que la réalité est tout autre à partir de la fin du XIXe siècle. Bertrand Joly, dans "Le souvenir de 1870 et la place de la Revanche", in Encyclopédie de la Grande Guerre, relève le "pacifisme de l’opinion publique en France et le rôle à peu près nul joué par l’idée de Revanche dans l’action des gouvernements successifs. (…) À quelques exceptions près, très bruyantes mais tout de même marginales, les Français, gouvernants et gouvernés, ne veulent pas de la Revanche. (…) De 1871 à 1914, les authentiques revanchards n’ont été qu’une infime minorité, un groupuscule aux effectifs si dérisoires qu’il peut paraître abusif de lui accorder aujourd’hui la moindre attention".

 

On relève pourtant dans la société des signes évidents de militarisation. Avant la guerre, l’enseignement n’est plus fondé sur le "patriotisme offensif", la Revanche, mais sur l’idée de défense sacrée de la Patrie attaquée. Le patriotisme est inculqué dans les classes primaires où beaucoup d’instituteurs sont patriotes mais pacifistes. 

La Ligue française de l'éducation physique

Rappelons ce qui a été dit à ce propos dans l'album "Sport et patrie" : le sport à l’école vise à former les combattants. La Ligue française de l’Éducation physique a pour devise : 

Pour la Patrie.

Par le foyer.

Par l’école.

Par la caserne

 

C’est pourquoi la Ligue girondine de l’Éducation physique organise des "Concours scolaire et militaire de gymnastique et de plein air" et des "Lendits militaro-sportifs". On développe chez les élèves le goût du tir et des armes en programmant le tir dans les écoles qui sont dotées d’armes et de munitions.

Des championnats de tir des écoles primaires sont organisés et les sociétés de tir sont patronnées par le Gouvernement. 

Le champ de tir

Constamment, la presse locale rappelle les objectifs patriotiques et militaires des clubs de tir. La première trace de ce sport dans les Archives communautaires date de 1858. La délibération du Conseil municipal du
8 novembre mentionne l’existence d’un champ de tir de 436 m et le projet d’un nouveau terrain de garnison ayant 600 m de long destiné aux nouvelles armes de guerre d’une portée de 1 200 m. Il est question de son installation à l’intérieur de l’hippodrome qui dispose d’un espace long de 800 m. Mais la proposition se heurte au refus du président de la Société d’Encouragement. Il est alors offert à la vallée d’Ossau de lui acheter un terrain pour le concéder à l’autorité militaire. Il se situe au nord de l’hippodrome, près du ruisseau l’Uzan, et mesure 1 034 m sur 50. Le Syndicat du Bas-Ossau ayant repoussé toutes les propositions, le Conseil vote le 11 octobre 1859 les 6 415,30 francs nécessaires à l’acquisition du terrain évaluée par une expertise. En 1860, neuf communes du Syndicat sont contactées pour traiter à l’amiable avant une demande éventuelle d’expropriation. Des démarches sont alors entreprises afin de réunir le jury destiné à "régler l’indemnité due à la Vallée d’Ossau pour la cession du terrain nécessaire pour former un champ de tir". (Délibération du 30 mai 1860). Le Conseil du 14 janvier 1861 est alors chargé d’évaluer l’indemnité à payer "à la vallée d’Ossau pour la dépossession du terrain destiné à un champ de tir pour les exercices de la garnison". La somme de 5 915,30 francs y est affectée en attendant. Le 10 février 1862 enfin, le terrain est affermé, tout comme le droit de pacage et de couper les tuies en novembre (Archives communautaires, 1N1/12). Il est renouvelé au fil des ans pour des personnes différentes.

La Société de Tir de Pau

La Société de Tir de Pau est créée en 1881. (L’Indépendant du 4 juillet 1900 fait remonter sa création à 1876). De nature militaire, elle est cependant ouverte aux civils. L’Indépendant du 4 avril se réjouit d’avoir "secoué dans une certaine mesure l’apathie et l’indifférence des tireurs palois", de la participation aussi de résidents saisonniers, notamment des Anglais et des Russes, "indice que le branle est donné dans la colonie étrangère ; nos hôtes d’hiver savent enfin que le Concours de Tir existe". 

 

Cet organisme, à l’origine de la Société de Tir du 143e RTI, est dissout en 1885. L’année suivante, il réapparaît sous la forme d’une Société Mixte de tir qui appartient à l’Union nationale des Sociétés de Tir de France (D. Descamps,La vie sportive à Pau de 1900 à 1920, Thèse de 3e cycle, Pau 1979.) et dont le président est Alfred de Lassence. En 1883, le commandant Noirot lui succède ; en 1905 et jusqu’à la guerre, il s’agit de M. Minvielle. Le Journal des Étrangers donne régulièrement la liste des tireurs français et étrangers, de même que les résultats des diverses compétitions. Cette société a pour but "de répandre dans la population le goût du tir des armes de guerre, d’envoyer dans les régiments des tireurs déjà exercés ; de fournir aux hommes de la réserve et de l’armée territoriale les moyens de se perfectionner et d’entretenir leur habileté (…) Donner d’utiles défenseurs à notre chère patrie" précise L’Indépendant du 4 juillet 1900.

Le Gouvernement fournit les munitions pour "aider à développer dans les masses le sentiment d’un devoir à remplir".  (Ibid., 18 mai 1904). Des concours privés sont aussi organisés, comme celui qui a lieu dans la propriété de M. Knowles, au château Montjoli à Gan, le dimanche 20 décembre 1885. 

La Ville accorde une aide financière modeste : 200 francs, puis 400 à partir de 1903. Un Concours Général de Tir des Sociétés relevant du 143e Régiment Territorial est organisé par la Société Mixte de Tir de Pau les dimanches 2, 9, 16 et le samedi 29 novembre ; puis le 30 décembre 1888 et les 3, 13, 20 et 27 janvier 1889 au champ de tir du Pont-Long. Ce sont quatre catégories de tireurs qui concourent : A – Tir à 300 m au fusil modèle 1874 ; B – À 200 m avec armes libres ; C – Revolver d’ordonnance à 26 m ; D – Carabine Flobert 6 mm à 12 m, dont une série est réservée aux dames. Dans toutes les catégories sont tirées des séries de six balles payantes. Les spectateurs sont admis gratuitement. Il en est de même en 1896 les dimanches 22 et 29 novembre, les 6 et 13 décembre (Archives communautaires 3R1/6).

Une épreuve pour revolver d’ordonnance modèle 1873-1892 à 20 m est gratuite. Un Concours d’Honneur au fusil Lebel est ouvert à "tous les lauréats", tir gratuit à six balles. Un autre à l’arme de guerre (Lebel) est proposé à tous les tireurs sur des cibles situées à 200 m par séries illimitées de six balles, dont les quatre meilleures ont retenues, au prix de 1,25 franc par série. Un autre concours est ouvert aux tireurs avec armes de guerre, fusils réglementaires 1874-1885 Kropatscheck et Châtellerault à 200 m.

Les pupilles, élèves des lycées et des écoles de Pau âgés de 10 à 15 ans, se voient réserver des épreuves de tir à 10 m avec armes de petit calibre (bosquette), gratuitement, pour une série de six balles. Les tireurs au revolver armes libres paient 0,50 franc par série, en nombre illimité, les quatre meilleures seulement étant prises en compte pour le classement, tout comme les tireurs au revolver d’ordonnance modèle 1873-1892

à 20 m. Enfin, un Concours d’Honneur est réservé aux officiers tirant six balles gratuitement au Lebel (ibid.) 

 

En 1900, le club compte 1 543 tireurs dont 973 militaires, 333 jeunes et 237 enfants de moins de quinze ans. (D. Décamps op.cit.) Il organise au Pont-Long un Concours d’Honneur qui réunit 247 jeunes non encore appelés sous les drapeaux auxquels se joignent 973 tireurs de l’active, de la territoriale et de la réserve. 21 776 cartouches sont tirées aux armes de guerre, au revolver d’ordonnance et à la carabine Flobert.
Du 1er avril au 31 mai 1901, il organise le 6e Championnat des écoles primaires (cinq élèves par école), le 10e des lycées et collèges, le 11e des écoles supérieures (dix élèves par établissement). Les enfants du primaire tirent cinq balles sur des cibles situées à 10 m à la "carabine scolaire", les autres dix balles à 300 m avec "arme nationale".

Les prix sont offerts par le président de la République, les ministres et l’Union des Sociétés de Tir de France nous dit Le Patriote du 27 avril 1901. Le 17 juillet 1904, la Société de Tir de Pau organise au Pont-Long un Concours d’Honneur au fusil et au revolver. Il réunit 2 157 tireurs qui brûlent 25 563 cartouches.
Le journal du 22 avril reprend in extenso son article du 4 juillet 1900 et explique les objectifs de la Société. Le Patriote du 29 juin 1905 affirme à l’occasion du concours de l’année suivante que "la pratique du tir (…) fera de bons et courageux soldats, et si l’heure du danger national sonnait encore, tous les tireurs, vétérans et pupilles marcheraient aux côtés de l’armée d’active, leur grande sœur, unis dans une noble émulation et brûlant de participer de toutes leurs forces et de tout leur cœur, aux nouvelles gloires de la France". En mai 1901 a lieu le concours annuel de la société, concours militaire et des "Sapeurs Pompiers". Les munitions sont offertes par le Gouvernement. À cette occasion, L’Indépendant du 18 rappelle que le club "tient à aider, développer dans les masses le sentiment du devoir à remplir. Nous devons profiter des leçons de l’histoire contemporaine et contribuer au développement de nos forces nationales par des exercices de tir répétés".

La Société Mixte envisage d’organiser un grand concours en 1907, le XIVe Concours national et international de tir. Pour cela, elle demande une subvention de 30 000 francs remboursable sur les bénéfices de la manifestation. Le président de la République accepte que ces épreuves soient placées sous son "haut patronage". Elles ont lieu dans des installations spécialement établies à Mazères-Lezons et attirent à peu près 6 000 tireurs. Il est comptabilisé le tir de 450 000 cartouches de fusil et de 120 000 de revolver durant les vingt journées de compétition (Ibid.) Cela représente pour le commerce local une moyenne de plus de 500 tireurs présents quotidiennement. Les comptes définitifs mentionnent une subvention de l’État de 50 000 francs, de 30 000 de la Ville de Pau et de 5 000 du Conseil général. Les recettes dépassant les dépenses de 15 038,15 francs, il faut maintenant songer à rembourser la Ville, comme la société s’y est engagée. Mais elle va argumenter pour ne pas respecter le contrat. D’abord, elle "fait observer que la ville a bénéficié de l’énorme affluence d’étrangers accourus à Pau pour prendre part au concours et visiter les Pyrénées, de réclame intensive par affiches dans toutes les gares importantes des réseaux français et étrangers, du bon revenu de l’hospitalité béarnaise par tous les journaux donnant le compte rendu journalier du concours" (op. cit).

De plus, comme la société comptait vendre les installations provisoires de Mazères-Lezons et que ceci a été rendu impossible par leur détérioration lors du démontage, elle estime avoir droit à une compensation (un calcul qui a peu à voir avec les engagements pris, nous semble-t-il). Alors, "si l’on veut considérer les avantages que la ville a retirés de la présence et du séjour prolongé des tireurs venus en foule, la plupart avec leurs familles, de l’affluence des visiteurs accourus de partout pour assister à cette grande manifestation patriotique, on reconnaîtra qu’elle a trouvé dans les sommes dépensées par eux soit dans les magasins soit dans les hôtels une légitime compensation à la perte qu’elle peut éprouver". (Ibid.) On peut donc agir dans des buts patriotiques et garder le sens de ses intérêts financiers, faisant fi de la parole donnée et de la morale… Le Conseil du 28 juillet 1908 se montre conciliant, la "Commission estime qu’à (sic) raison du caractère patriotique de l’œuvre entreprise, des efforts tentés pour en procurer le succès, des mécomptes éprouvés, le Conseil peut revenir sur sa délibération du 10 mai 1906 et libérer la Société de l’engagement qu’elle avait pris" (ibid).

 

Le club demande dès l’année suivante des installations couvertes en raison de "l’attrait nouveau pour notre ville dont la vie sportive constitue actuellement la plus puissante réclame, œuvre éminemment patriotique (…) par l’essor nouveau qu’elle donnerait à l’enseignement scolaire et post-scolaire du tir" (ibid). 

Cependant, entre 1908 et 1910, on note une diminution du nombre des tireurs et l’absence, tant dans la presse que dans les délibérations du Conseil municipal, de toute mention à des concours tels que ceux dont il vient d’être question. Par contre, L’Indépendant du 4 décembre 1912 annonce pour le dimanche 8 le déroulement d’un "tir d’épreuve mixte" au stand J. Hourat, situé en face du Tir aux Pigeons de la route de Bordeaux. Outre le tir sur des animaux vivants comme des lièvres, y sont proposés des tirs au ball-trap, à la carabine sur cibles à 100 et 150 m, à la carabine de haute précision à 45 et 60 m, du "tir réduit scolaire" 

à 12 m, du tir aux pistolets et revolvers sur silhouettes variées". (D. Décamps, op.cit). 

Le journal explique cette désaffection par un possible attrait du rugby dominical. Ceci pourrait laisser dubitatif sur les motivations patriotiques des tireurs ayant fait défection…

 

À l’heure actuelle, l’agglomération paloise dispose de trois sites où l’on peut tirer au pistolet et à la carabine : le Pas de tir du Vert-Galant à Lons ; le stand de tir de l’ETAP ; la Société de Tir de Lons qui s’est vu interdire de continuer ses activités sur son ancien stand 25 et 50 m à la suite de plaintes de riverains en raison du bruit alors qu’ils ont fait construire à proximité d’un site installé là avant eux. Cela est à rapprocher du cas de ceux qui bâtissent à côté d’une ferme et se plaignent du chant des coqs et de l’odeur des cochons… Ce club est en attente de son nouveau stand en construction avenue des Frères-Wright. 

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